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Marina Pastor, artiste plurielle.

Le parcours de Marina Pastor, comédienne et actrice, se caractérise par la diversité et la richesse de ses rôles, aussi bien au cinéma qu’à la télévision. Elle se fait remarquer dans Une semaine sur deux (et la moitié des vacances scolaires) d’Ivan Calbérac, et dans la série culte Bref, où elle incarne la mère de Kyan Khojandi. Plus récemment, elle a interprété le rôle de la mère d’Édouard Louis dans Combats et métamorphoses d’une femme, une œuvre poignante qui explore la transformation d’une femme confrontée aux violences liées à sa condition sociale.

En parallèle de sa carrière d’actrice, Marina Pastor est également scénariste et productrice.

 

 Votre carrière est marquée par une grande diversité de rôles. Qu’est ce qui guide voix choix artistiques ? 

Les choix artistiques pour une comédienne sont synonymes de rencontres, avec des auteurs, des metteurs en scènes, des univers différents.
Pour ma part, la rencontre la plus importante est celle que je tisse avec mon personnage, tout ce que je lui prête de moi, cet échange imaginaire qui ressemble à un acte d’amour. Dans ma vie personnelle j’ai souvent été en lutte contre des injustices sociales entre autres et cela a sans doute nourri ma vie artistique. Il y a quelques années maintenant, j’ai joué dans 2 spectacles de Bertold Brecht qui ont enrichi la comédienne que je suis aujourd’hui et cette phrase de l’auteur résonne encore en moi : “ Ceux qui luttent ne sont pas sûrs de gagner mais ceux qui ne luttent pas ont déjà perdu “

 

 Dans Combats et métamorphoses d’une femme vous incarnez la mère d’Edouard Louis. Comment avez-vous abordé ce rôle si intime et politique ?

Merci Naima de coller ensemble les mots “intime” et “politique” ! Cela résonne particulièrement et c’est l’essentiel des œuvres théâtrales qui m’ont marquée. 

J’ai adapté le roman d’Edouard Louis avec mon propre fils, Louis Pastor qui est lui aussi, sociologue/enseignant chercheur. Et cette création a été une aventure théâtrale et humaine très forte. J’ai donné vie et corps à Monique, femme au foyer, vivant dans une précarité absolue et dominée par les hommes. Ce qui m'a frappé chez elle, c'est sa vitalité, son appétit de vie, son humour.  Elle porte en elle un désir d’émancipation que les drames et les contraintes de la vie n’altèrent jamais. C’est cette force intérieure que je voulais avant tout montrer. Elle résiste, elle lutte et alors démarre une nouvelle vie ailleurs, loin de sa condition. A plus de 50 ans, si ce n’est pas un message d’espoir pour toutes les femmes ça ? 

Le rapport mère/fils intime que mon fils et moi avons livré au public à travers l’écriture d’Édouard Louis a constitué pour moi un grand vertige artistique.

Nous souhaitons d’ailleurs reprendre ce spectacle à Paris prochainement.

 Comment nourrissez-vous votre créativité au quotidien ?

J’essaie d’être attentive aux changements de société, les voir et les comprendre m'intéresse davantage que perdre pied, en fait je déteste les “c’était mieux avant” !
Oui, le jeu des comédiens par exemple, a changé, on ne joue plus comme il y a 50 ans.
Les outils ont aussi beaucoup évolué : le web, l’IA… mais je ne me sens pas dépassée, enfin pour le moment ;). Le rapport à l'identité de genre, ce que signifie être une femme, un homme, entre les deux, etc. tout cela me passionne, je lis beaucoup de contenus sur ces sujets.

Sinon je vais beaucoup au cinéma et au théâtre. Je vis à Paris et c’est une chance.
J’adore la photographie et les expos photo, c’est toujours très inspirant ces instantanés de vie qui captivent, font rêver ou vous révoltent. Les livres aussi ouvrent le champ de l’imaginaire et des possibles. Cependant, j’ai un rapport un peu contrarié et cyclique à la lecture et je trouve toujours que je ne lis pas suffisamment.
Et puis, la poésie est partout, sur mon vélo, à la terrasse d’un café, dans le regard d’une amie.

 

 Y a-t-il un rôle que vous rêvez d’interpréter ?

Beaucoup de rôles…Il y a quelques années, alors que je jouais dans une adaptation de Charles Dickens, mon fils m’a dit une très jolie chose : “Miss Havisham, elle attendait quelque part que tu lui donnes vie”. J’y repense souvent et je me dis qu’il y a un endroit ou des personnages attendent leur moment de lumière !
J’espère avoir une multitude de rendez-vous avec des héroïnes encore dans l’ombre.
D’autre part je ne sais pas si vous avez remarquez mais après 50 ans les comédiennes développent un super pouvoir, elles disparaissent des écrans !
Je fais partie de l’AAFA – Tunnel de la comédienne de 50 ans, un collectif qui combat les stéréotypes sexistes liés à l’âge des femmes. Pour nous, il s’agit d’un véritable enjeu de société : faire évoluer les regards et la représentation des femmes vieillissantes.

 

 Vous êtes également scénariste et productrice. Qu’est-ce qui vous a donné envie de passer de l’interprétation à la création ? 

Être choisie et imaginée pour une création c’est le désir profond de toute comédienne et j’ai eu cette chance, avec des auteurs contemporains et aussi de grands metteurs en scène. 

Et puis certains compagnonnages artistiques ont pris fin de manière brutale pour moi, alors comme après une rupture amoureuse… il faut rebondir !
Écrire sa propre histoire, croire en son travail, le proposer, frapper aux bonnes portes, le partager et enfin le créer. Imaginer sur son canapé des situations, des personnages et quelques mois plus tard voir une équipe constituée et investie sur son projet est quelque chose d’un peu fou.  C’est comme passer du rêve à la réalité ou de la réalité au rêve ! 

Il n’y a rien de plus exaltant malgré les immenses angoisses que cela génère de suivre un projet de bout en bout. Oui ta création artistique, c’est ton enfant et ça, ce n’est pas une légende ! 

 

 Y a-t-il une phrase, une citation, ou un enseignement qui vous accompagne dans votre parcours et vous inspire profondément ?
On nous inflige

Des désirs qui nous affligent

On nous prend faut pas déconner dès qu'on est né

Pour des cons alors qu'on est

Des Foules sentimentales

Avec soif d'idéal

Attirées par les étoiles, les voiles

Que des choses pas commerciales

Foule sentimentale

Il faut voir comme on nous parle
Comme on nous parle
Alain Souchon, Foule Sentimentale, 1993 

 

Edwarda,

La revue de l'intime, entre photographies et littérature.

Edwarda est à la fois une revue et  une maison d’édition , qui tisse un dialogue subtil entre photographie et littérature. Fondée par Sam Guelimi, Edwarda explore l’intime à travers la plume d’autrices et d’auteurs. Ils y expriment leur rapport au corps, au monde et à la vie.

Nourrie par une démarche féministe inclusive, ouverte à l’intersectionnalité et au dialogue au-delà des frontières de genre et d’identité, Edwarda embrasse ce vaste territoire qu’est la francophonie, à travers une expression libre et poétique.

Chaque numéro se présente comme une œuvre singulière, conçue avec une attention particulière portée à la mise en page, aux images et aux mots.

 

 

 Comment est née l'idée de la revue et d'où vient le nom d'Edwarda ?


Sam Guelimi :
Le nom « Edwarda » vient de Bataille, du personnage féminin dans le récit Madame Edwarda. Ce qu’Edwarda met en valeur dans l’œuvre immense de Bataille, c’est la notion de la dépense, une notion au centre de sa pensée de l’érotisme et de la transgression, de l’athéologie et de l’extase. S’opposant à l’économie de nos sociétés fondée sur l’utile, l’accumulation et la production, Bataille forge le concept de dépense, à savoir un mouvement de don, d’excès qui renverse les piliers de l’économie dominante. La dépense est liée au potlach, à ce qu’il appelle la « part maudite », à un érotisme convoitant le sacré. Madame Edwarda est une figure de l’excès. 

 Quels défis rencontrez-vous dans la création et la diffusion d'une revue indépendante ?


Sam Guelimi :
Au-delà des défis budgétaires évidents, je dirais que ce qui semble le plus difficile, c'est d'abord la longévité, à laquelle je n'aurais jamais cru au départ.  Mais c'est aussi le fait qu'Edwarda est une revue qui évolue, qui se réinvente constamment. C'est difficile à une époque où les gens voudraient quelque chose de toujours fixe, d’identifiable. Ce côté amphibien, cette capacité à se transformer d'un numéro à l'autre, est peut-être le plus difficile à faire entendre, notamment aux libraires qui ont besoin de catégories stables. Et puis il y a ce défi intime : je n'ai jamais la certitude, après un numéro, d'avoir envie de continuer. Je n'ai pas d'idées toutes prêtes. Chaque numéro semble être un peu tout ce qui me restait à dire. Le défi, c'est aussi d'accepter de ne pas savoir s'il y aura un après.

 Comment naissent les collaborations au sein de la revue ?


Sam Guelimi : J'ai longtemps travaillé avec les mêmes auteurs. Il m'était très difficile de passer , ou même d'avoir envie de passer, les portes des maisons d'édition pour aller vers de nouveaux écrivains. Ces portes ne me décourageaient pas seulement, elles amenuisaient aussi mon désir d'aller vers l'autre. Au sein de mes amitiés, il y avait déjà tellement à faire.
Depuis ma reprise, j'ai eu une pause de quelques années après avoir perdu à terme une petite fille, puis après avoir eu la chance d'avoir un troisième enfant, ma nature a évolué. Peut-être est-ce arrivé avec la maternité, mais il m'est devenu plus facile d'aller vers l'autre. J'ai aussi fait l'expérience de l'instantanéité que propose Instagram et de l'accessibilité des auteurs.
Je travaille toujours autour d'un thème. Je n'ai jamais publié de texte écrit a priori, en dehors de la revue. Je dessine un thème, j’en dessine les contours et j'invite des autrices et des auteurs désireux de rencontrer la revue, auxquels je pense en raison de leurs affinités possibles avec ce thème. Souvent il s'agit d'anciens contributeurs, auxquels s'ajoutent désormais beaucoup de nouvelles plumes.

 

 Pouvez-vous nous parler du dernier numéro, intitulé Le Nuancier ?


Sam Guelimi : Si vous voulez bien, je voudrais vous parler du Nuancier et d'Amazuz, puisqu'il s'agit de mes deux derniers numéros sortis quasiment en même temps et actuellement en librairie. Les deux sont liés.
Pour Le Nuancier, j'ai imaginé un nuancier pour apporter son lot de nuances. Edwarda a rassemblé des contributeurs qui ont chacun élu une couleur. Je me doutais qu'il y aurait beaucoup de rouge, mais je savais qu'on ne voit pas rouge de la même façon.
Pour vous donner une idée de la liberté, de la spontanéité, de la générosité qui peut exister autour d'un numéro, je narrerai cet événement. Alors que je bouclais celui-ci, je venais de terminer la lecture d’un livre de Pierre Trouiller. Lui écris et il me répond  : "Êtes-vous Sam Guelimi ?" Affirmatif. Il me dit : "Il faut que je vous raconte combien la couverture d'un de vos numéros a changé ma vie. J'ai rencontré une femme que j'aime aujourd'hui, qui ressemblait étonnamment au modèle sur votre couverture." Aussitôt, j'ai répondu : "Ivresse ?" - car ce numéro a vraiment eu un fort impact. Il me dit : "Affirmatif." Je lui ai dit : "Écoutez, je boucle le numéro, mais si vous le voulez bien, vous pouvez m'écrire cette histoire qui vous lie à Edwarda." C'est devenu "Le rose Rebecca".
Pour Amazuz, il m'a fallu quinze ans. Quinze ans depuis la fondation d'Edwarda, et je n'avais jamais parlé de ma mère. Il m'a fallu beaucoup de temps, beaucoup de numéros, peut-être aussi une intimité nouvelle dans la création avec les auteurs, et évidemment un chemin accompli dans ma vie personnelle.
J'ai eu envie de dédier ce numéro à ma mère autour d'un mot berbère - le titre Amazuz - qui est le véritable mot au masculin de  Tamazuzt  que ma mère me disait, la petite dernière , le petit dernier.  J'ai invité les écrivains à écrire au sujet de l'enfance. Dans l'édito, j'évoque la table de ma mère qui réunissait des personnes très différentes. Je me suis interrogée : quel était mon héritage ? Mon héritage, c'est celui-là ,cette générosité, cette curiosité, cette table offerte à qui veut partager une expérience.
Amazuz devient aussi une collection. Cette table, ce n'est pas seulement l'hospitalité, c'est une idée très forte chez Edwarda et qui sera le cœur de cette collection nouvelle : l'idée de pensée horizontale.

 Quelles sont vos envies ou projets futurs pour la revue et la maison d'édition ?


Sam Guelimi :
Pour la maison d'édition, la collection Amazuz alternera entre livres collectifs et livres solo. Après ce premier Amazuz collectif va paraître bientôt un livre de Véronique Bergen intitulé, Mémoire des lieux, qui est une prolongation de son texte écrit pour Amazuz, un récit intitulé, Les terres de l'enfance. Cette collection alternera toujours livre collectif et livre solo - comme si l'auteur invité, restait plus longtemps pour prolonger son texte.
Pour la revue, je travaille à un nouveau numéro qui me passionne.  Il m'est venu lorsque je préparais les commandes d'Edwarda : les lecteurs ne sont peut-être pas fort nombreux, ne représentent pas un grand nombre qui permettrait d'avoir une revue rentable, mais la géographie et les liens étroits qui se dessinent grâce aux lecteurs et aux écrivains me touche beaucoup.

 

Pouvez-vous nous partager une phrase, une citation ou un enseignement qui vous inspire ?


Sam Guelimi  :
Je pense à cette phrase de James Baldwin qui était le point de départ du numéro  Tenir le là ; “To be sensual, I think, is to respect and rejoice in the force of life, of life itself, and to be present in all that one does, from the effort of loving to the breaking of bread.”

Traduction : « Être sensuel, je crois, c’est respecter et se réjouir de la force de la vie, de la vie elle-même, et être pleinement présent dans tout ce que l’on fait , de l’effort d’aimer jusqu’au simple fait de rompre le pain ».

Lien utile : Edwarda

Hella Feki,

Une plume entre les rives

Autrice, professeure de lettres et formatrice d’enseignants, Hella Feki explore dans ses romans les marges de l’histoire, les voix oubliées et les destins féminins. Après avoir marqué les esprits avec Noces de jasmin, lauréat du festival du premier roman de Chambéry en 2020, elle revient en 2025 avec Une reine sans royaume, un roman historique qui redonne vie à Ranavalona III, dernière reine de Madagascar, exilée à Alger après la colonisation de son pays.

 

Dans ce nouveau récit, la romancière mêle fiction biographique et mémoire coloniale pour faire entendre la voix d’une souveraine déchue, entre mélancolie, dignité et renaissance. À travers le prisme de l’exil, elle interroge les silences de l’histoire, les amours contrariées et la puissance des femmes dans des mondes qui les marginalisent.

 

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire sur Ranavalona III, et dans quelles circonstances avez-vous découvert ce personnage ? 

Je suis franco-tunisienne, d’un père tunisien et d’une mère française et j’ai grandi à Tunis jusqu’à mes 18 ans. Je suis ensuite venue m’installer en France où je suis devenue professeure de lettres et théâtre. J’ai eu la chance, grâce à mon métier d’aller enseigner quatre années à Madagascar, au lycée français de Tananarive. C’est un pays qui m’a profondément marquée, où j’ai écrit, d’ailleurs mon premier roman, Noces de jasmin. Cela fait quatre ans que je suis de retour en région parisienne, où j’enseigne.

Lors de mon séjour à Madagascar, je vivais en face du palais de la reine, situé sur la colline en face de ma maison. J’ai très vite nourri une fascination pour les reines de Madagascar, en particulier Ranavalona Première car elle avait repoussé les missionnaires chrétiens et les colons, consciente de ce que leur présence impliquait pour leur île, mais aussi Ranavalona III, en raison de son exil à Alger. J’ai visité le palais de Tananarive, le Rova Manjakamiadana, au sommet de la colline Analamanga, dominant la capitale.

Ce livre est né d’un hasard et d’une rencontre fortuite. De retour en région parisienne après ces quatre années de vie, j’avais décidé de passer quelques jours de vacances chez mes parents, dans le quartier de l’Ariana. Lors de ce retour, j’ai fait une visite de la Médina de Tunis avec des amis de Madagascar et un journaliste et écrivain reconnu en Tunisie, Hatem Bourial. C’est à ce moment-là qu’il m’a parlé d’un article qu’il avait écrit sur le séjour de la Reine Ranavalona III à Tunis. Il me l’a envoyé : y figurait une carte postale représentant la reine Ranavalona dans les champs de course de Ksar Saïd. A partir de ce moment-là, j’ai commencé à lire tout ce que je pouvais trouver sur elle, sans trouver aucune trace de son séjour à Tunis.

J’ai ensuite lu tout ce qui a trait à cette époque des Beys de Tunis, et c’est ainsi que j’ai découvert les personnages de Lella Beya Qmar et de la Princesse Nazli, puis de Myriam Harry. J’ai alors décidé de lire presque tous les récits de Myriam Harry, et c’est ainsi que j’ai eu la confirmation de la venue de Ranavalona III à Tunis. Myriam Harry et elle s’étaient rencontrées lors d’une gigantesque manifestation théâtrale dans l’amphithéâtre romain de Carthage. Une carte postale la représentant au milieu des ruines romains accompagnait le récit de Myriam Harry, avec une autre date, 1907.

 

J’avais un premier indice, une date, et c’est ainsi que j’ai commencé à fouiller dans la mémoire de mon pays, en allant dans les archives nationales de Tunisie, puis dans celles d’outre-mer à Aix-en-Provence. Il y avait quelques articles sur son séjour à Tunis, mais rien de très épais. C’est à ce moment-là que la fiction a pris le dessus et que j’ai imaginé ce qu’elle aurait pu vivre sur place.

Ranavalona III est une reine oubliée de l’Histoire, qui me touche par son visage si triste et en même temps sa grande notoriété à cette époque-là. Et surtout, j’avais quitté Madagascar et c’est elle qui me ramenait dans mon pays, la Tunisie.

 

Considérez-vous ce roman comme une forme de réparation mémorielle pour les femmes, souvent absentes de l’Histoire en général et de l’histoire coloniale en particulier ? 

Oui, bien sûr, ce roman est une forme de réparation mémorielle pour les femmes. Elles ont souvent été invisibilisées. Qui a écrit l’histoire coloniale ? Les hommes qui ont colonisé les terres. A partir de là, les femmes illustres des colonies, qui ont joué un rôle majeur pour certains combats, sont peu connues.

Ainsi, dans mon roman, dans un journal fictif tenu à l’orée de sa mort en 1917, Ranavalona raconte sa rencontre avec des souveraines orientales : Lella Beya Qmar, une odalisque circassienne offerte par le sultan de l’empire de Constantinople au Bey de Tunis, la princesse égyptienne Nazli, qui a fondé les premiers salons de pensée féminin et Myriam Harry, première lauréate du prix Femina parce que refusée par le Goncourt (parce que femme…).

Lella Beya Qmar est une odalisque circassienne qui avait été offerte par le sultan de Constantinople au Bey. Elle est arrivée en terre étrangère alors qu’elle n’avait que quatorze ans et a fait partie du harem de Sadok Bey, un homme âgé. A sa mort, elle a épousé son frère Ali Bey, vieillard également, dont elle a subi l’union charnelle  forcée. Au décès de ce dernier, elle a enfin contracté un mariage d’amour : Naceur Bey lui a fait d’ailleurs construire un palais, le fameux Ksar Essaada, à La Marsa.

En lisant sur ce personnage féminin, j’ai découvert la princesse égyptienne Nazli, qui a fondé les premiers salons littéraires de Tunis. Elle a vécu plusieurs années à Paris, puisqu’elle était l’épouse du grand ambassadeur Khalil Pacha, qui collectionnait les œuvres d’art et fréquentait Courbet et Ingres. Déjà érudite dans l’empire ottoman, ayant bénéficié d’une éducation élitiste et exigeante à Constantinople, elle a complété sa culture par la fréquentation des salons littéraires parisiens, qui lui ont inspiré ceux qu’elle a créés au Caire, après le décès de son époux. Par ses nombreux voyages en France, notamment pour les congrès d’Afrique du Nord, elle a rencontré le fils du grand Cheikh de la mosquée Ez-Zitouna, Khalil Bouhageb, alors politicien et membre de l’association démocratique de la Khaldounia.

Et c’est en lisant sur cette princesse que j’ai découvert son amitié avec Myriam Harry, écrivaine lauréate du prix Femina pour La Conquête de Jérusalem en 1904, grande journaliste installée à Tunis. C’est en me plongeant dans les œuvres de cette dernière sur Tunis, La Tunisie enchantée, Tunis la Blanche et Mon amie Lucie Delarue-Mardrus, que j’ai découvert sa rencontre avec la reine Ranavalona III lors de l’événement d’envergure organisé pour la réhabilitation de l’amphithéâtre romain de Carthage.

L’éloge des salons littéraires en Orient au vingtième siècle est donc un axe qui s’est imposé, et j’ai beaucoup lu sur tous ces personnages : des biographies, des articles, des ouvrages historiques. J’ai également lu les œuvres de Lucie Delarue-Mardrus, la grande dramaturge qui joue dans le spectacle pour la célébration de la réhabilitation des ruines de l’amphithéâtre romain de Carthage. J’aurais aimé donné une place plus importante à cette dernière, une grande féministe également, mais le roman ne s’y est pas prêté.

Quant à Ranavalona III, qui s’en souvient aujourd’hui en France ? Elle était pourtant célèbre dans les années 1900 et les foules l’attendaient partout sur les quais de Marseille, Paris, dans la finalité de voir la souveraine malgache. Elle faisait la Une des journaux ! Elle était invitée dans les hauts lieux : l’Opéra de Paris, l’Elysée, le Sénat, les grandes manifestations, partout, en France, y compris lors de ses voyages en province. Elle figurait également sur boîtes de Biscuit Lu. Marcel Proust l’évoque dans la Recherche du temps perdu, plus précisément dans A l’ombre des jeunes filles fleurs, comme une apparition mystérieuse sur laquelle tout le monde chuchote…

 

La Tunisie traverse aussi votre roman. Quel lien intime ou symbolique entretenez-vous avec votre pays d’origine ?

J’ai passé toute mon enfance à Tunis. Je suis franco-tunisienne, née de l’union d’une mère française et d’un père tunisien. Je garde les souvenirs d’une petite fille en permanence dehors, refusant de jouer à la poupée et à la dînette avec les voisines de la rue où je passais mes étés, à Sfax, chez mes grands-parents. Ma grand-mère ne comprenait pas que je préfère m’échapper avec mon frère et mes cousins. Moi, j’aimais monter sur les toits pour jouer au rami avec eux, jouer à Chat Perché dans la rue avec les autres petits garçons et faire du vélo. Avec du recul, je comprends ma grand-mère : elle avait été mariée à dix ans avec mon grand-père (qui avait alors 18 ans) et avait eu son premier enfant à treize ans. Elle n’avait connu que l’enfermement et les tâches ménagères. Pour elle, cela faisait partie du « devoir féminin » et mon attitude bouleversait les conventions et l’ordre patriarcal établi et accepté.

Chez mes parents, à Tunis, je jouissais d’une grande liberté de jeu : je montais dans les arbres, surtout dans mon grand caoutchouc où je dépliais des parapluies que je coinçais dans les branches pour me fabriquer des cabanes et des abris. Je ramassais également les cailloux du jardin, je les étiquetais « pierres précieuses ». Puis, je déplaçais une petite épicerie en bois que m’avait offerte mon père pour jouer, je plaçais les pierres dessus et je les vendais à la criée pour 10 millimes, ce qui faisaient rire tous les passants et les voisins. Lorsque je n’étais pas dehors, je passais aussi beaucoup de temps à lire, parfois dans mon caoutchouc, sous les parapluies.

Adolescente, je faisais du roller et je continuais à vouloir être dans la rue avec les garçons. Je crois que la liberté que j’avais, grâce à l’éducation de mes parents, mais aussi l’atmosphère du jeu dans les rue de Tunis, ont forgé mon caractère et mon esprit.

Le lien intime que j’entretiens avec la Tunisie, c’est cette enfance heureuse. C’est aussi le passage constant de la langue arabe à la langue française pour échanger tantôt avec mes cousins tantôt avec ma mère.

Le lien symbolique que j’entretiens avec la Tunisie, c’est aussi ce désir très profond de connaître davantage son Histoire, ses oublié(e)s, sa littérature, sa poésie, ses arts. J’ai très envie de reprendre la lecture en arabe. Cela me manque constamment. En quittant la terre de mon enfance à l’âge de dix huit ans, j’ai emporté avec moi la nostalgie de mon pays natal, peut-être par mimétisme puisque ma mère, elle, inconsciemment, nous a élevés avec sa propre nostalgie, celle de sa région d’origine…

Quelle place l’écriture occupe-t-elle dans votre vie, et quel rôle joue-t-elle dans votre rapport au monde ?

L’écriture occupe une place centrale dans ma vie, tout comme la littérature, et depuis toujours. J’ai toujours beaucoup lu, depuis l’enfance. J’écrivais beaucoup de comptines, dès que j’ai su écrire. Je fabriquais aussi des petits journaux avec mon frère lorsque nous étions petits. J’écrivais les histoires, les blagues, j’inventais des « pages de jeux », et mon frère tapait et mettait en forme le tout à l’ordinateur. A l’adolescence, j’ai tenu un journal intime. Puis, adulte, j’ai noirci des carnets de voyage lors de mes voyages avant de me décider à écrire des romans.

L’écriture joue un rôle fondamental dans mon rapport au monde, parce que la naissance de mes romans me font découvrir des univers inattendus, méconnus. En même temps que j’écris, j’explore le temps, des univers, des paysages, des auteurs que je relis ou découvre. Ecrire me permet d’être là où les lignes me conduisent, tout en restant dans l’espace intime où je compose. Une fois les romans publiés, ceux-ci me permettent des rencontres avec des lecteurs, d’autres auteurs, des contrées et des pays dans lesquels je suis invitée. C’est vertigineux. Et merveilleux.

 

Quels sont vos projets littéraires après Une reine sans royaume ?

Quand un roman sort, j’ai besoin de temps car son histoire continue de m’accompagner encore longtemps. Je ne sais pas encore quel sera mon prochain livre, mais les projets littéraires se poursuivront, nombreux je l’espère. Je pense que la Tunisie continuera d’habiter mes romans d’une manière ou d’une autre.

 

Y a-t-il une phrase, une citation ou un enseignement qui vous accompagne dans votre parcours et vous inspire profondément ?

Un enseignement ? Sans doute les apologues que constituent la poésie arabe. J’en lis beaucoup. Une phrase ou une citation ? Peut-être celle-ci dans Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar, qui est l’un de mes romans préférés : « Comme tout le monde, je n’ai à mon service que trois moyens d’évaluer l’existence humaine : l’étude de soi, la plus difficile et la plus dangereuse, mais aussi la plus féconde des méthodes ; l’observation des hommes, qui s’arrangent le plus souvent pour nous cacher leurs secrets ou pour nous faire croire qu’ils en ont ; les livres, avec les erreurs particulières de perspective qui naissent entre les lignes. »

 

Noha Baz :

decine, mémoire et saveurs du Liban

Médecin pédiatre, analyste gastronomique, autrice et fondatrice de l’association Les Petits Soleils, Noha Baz porte en elle mille sourires. Après des études de médecine à Paris, elle retourne au Liban en pleine guerre civile, où elle exerce dans des conditions extrêmes.

Cette expérience forge son engagement, en 1997, elle crée Les Petits Soleils, une association qui offre des soins gratuits aux enfants défavorisés du Liban. Diplômée des hautes études du goût, elle devient analyste gastronomique et autrice de livres qui célèbrent les traditions culinaires levantines, porteuses d’histoire et de tendresse.

Son écriture est un acte de transmission, ses recettes des récits, ses engagements des ponts entre les générations. Noha Baz est une passeuse d’héritage, une femme qui relie soin, saveur et solidarité.

 

Tu es médecin pédiatre et analyste gastronomique. Comment ces deux vocations se rencontrent-elles dans ton parcours ?

On me pose très souvent la question. Le lien entre les deux est tout simplement Hippocrate ! Puisqu’il préconise dans ses écrits « que ta nourriture soit ta première médecine... »

C’est quelque chose que j’applique tous les jours depuis toujours en choisissant avec soin ce que je mets dans mon assiette. Je privilégie les produits frais et de saison. Une philosophie personnelle qui date de bien avant mon cursus des Hautes études du goût et de la gastronomie à Reims. En cuisine j’ai toujours cherché à alléger les recettes traditionnelles, en diminuant par exemple le gras, le sucre et le sel et en mettant les produits en vedette, les légumes en particulier. Sans bons produits, il n’y a pas de bonne cuisine. Pour une simple compote, par exemple, si vous choisissez des fruits non traités et de saison, vous avez déjà un splendide dessert.

Pendant mes consultations, le temps consacré à prodiguer des conseils pour bien nourrir les enfants au fil de leur croissance et répondre à leurs besoins en cas de pathologie, est pour moi primordial. Cela me paraît essentiel de savoir transmettre les codes d’une nourriture saine aux parents, ainsi ils pourront les transmettre à leur tour à leurs enfants. C’est parier sur un avenir sain et gourmand. Expliquer à un enfant comment bien choisir ce qu’il met dans son assiette, c’est lui offrir une clé de bien-être pour la vie et le préserver des dangers de la nourriture industrielle. C’est le protéger autant que faire se peut de l’obésité, base de nombreuses de pathologies.

Les adolescents me contactent souvent eux-mêmes sur les réseaux pour me poser des questions concernant leur régime alimentaire. Je pense qu’être médecin, ce n’est pas uniquement prescrire des médicaments, mais donner également des conseils de bien être de vie et donc aussi d’alimentation.

 

Quest-ce qui ta poussée à créer lassociation Les Petits Soleils ?

C’est un incident survenu pendant mes années d’internat à Beyrouth. J’étais de garde et j’avais accueilli aux urgences un petit Karim âgé de sept ans qui était atteint de méningite. La guerre civile battait son plein au Liban et le petit venait de la région du sud. Il appartenait à une famille particulièrement démunie et son grand-père l’avait porté sur son dos pour l’amener à la ville avec l’espoir qu’il soit mieux soigné et sauvé. Mais, il avait traversé plusieurs barrages de milices armées, beaucoup d’obstacles pour être en fin de compte refusé, par manque de moyens, à l’admission du CHU dans lequel j’effectuais mon apprentissage.

A l’époque, j’étais étudiante, mes parents vivaient à Paris ; je n’arrivais pas à les contacter parce que les relations téléphoniques étaient aléatoires, à cause des bombardements et je n’avais pas de quoi payer moi-même la caution que l’établissement hospitalier réclamait, trois mille dollars, une fortune pour la famille du petit. Le voir agoniser dans la salle d’urgence et puis apprendre ensuite qu’il était décédé quelques heures plus tard m’avait mis dans une rage folle !

J’avais entamé mes études de médecine avec un idéal celui d’offrir soins et réconfort du mieux possible. Et je n’imaginais pas l’inégalité des soins faite à cause du manque de moyens. J’ai vite compris qu’il y avait, en tous cas, au Moyen Orient une médecine à deux vitesses et que la couverture de santé n’était absolument pas à la portée de tout le monde. Je m’étais jurée ce jour-là qu’une fois diplômée, jamais je ne permettrais que cette horreur se reproduise.

C’est pour cela que 30 ans plus tard, aujourd’hui, nous continuons à prendre en charge avec toute l’équipe Des petits soleils, des enfants à qui, il faut assurer des soins de santé en urgence et de façon chronique en couvrant chirurgies et examens médicaux, en offrant prothèses, suivis et traitements.

L’équipe est composée de médecins, de paramédicaux et de thérapeutes ainsi que de remarquables personnes de bonne volonté qui ne sont pas dans le domaine médical mais qui sont très efficaces. La terrible crise économique, qui s’est abattue sur le Liban, en 2019 et en 2020, à la suite de l’explosion du port de Beyrouth, fait que pour beaucoup de familles, l’accès aux soins est devenu impossible. Les hôpitaux de l’État, aujourd’hui sont en train de se remettre petit à petit en route, mais il va falloir des années avant qu’ils ne puissent assurer à nouveau des soins de qualité, sans compter que beaucoup d’hôpitaux dans le sud-Liban ont été totalement détruits par les bombardements qui continuent jusqu’à présent.  Assurer les soins à des enfants aux quatre coins du pays est devenu une aventure quotidienne,

Notre fierté absolue est de n’avoir jamais demandé un sou à l’état libanais. Cette aventure, je la raconte dans « Il n’y a pas de Honte à préférer le bonheur » (2019) dont Olivia de Lamberterie avait eu la gentillesse de faire la préface. Ce livre avait vu le jour, à la demande des éditions Alisio / Albin Michel. Plusieurs autres ouvrages ont suivi dont à chaque fois tous les droits ont été reversés à l’association.

 

Tu as grandi entre plusieurs cultures. Comment cela influence-t-il ton rapport au goût et à la transmission ?

Oui, absolument, j’ai grandi entre la culture levantine et suisse, le pays de ma mère. Nous parlions français à la maison, mais nous étions entourés de dialectes arabes et à notre table se mélangeaient saveurs alépines, libanaises, suisses et européennes. C’est une véritable richesse que d’être immergée dans une double culture. Chaque jour, je commence ma journée par un café cardamome comme à Beyrouth et je mélange tout au long de la journée les saveurs des deux pôles dans un même plat. Des spaghettis au Zaatar sont un classique du dîner à la maison par exemple. Un Hoummos à la betterave accompagne une volaille préparée à la française, je m’amuse beaucoup à croiser les goûts et à transmettre ceux du Levant.

Le fil conducteur de tous mes livres est voué à la transmission, j’anime à longueur d’année des ateliers et des rencontres autour de l’éducation du goût.

 

Quel plat de ton enfance t’évoque le plus de souvenirs ?

Le Kebbé ! Lorsque j’étais enfant, nous avions un jour par semaine, consacré à la confection du kebbé à la maison. Sa composition variait au fil des saisons. Dans mon ouvrage, la Nuit de la pistache, dont j’ai repris les droits et que je réimprime aujourd’hui à ma façon, j’ai décrit ce souvenir incroyable : celui d’avoir appris à lire en écoutant le bruit du pilon qui battait le kebbé dans le jurn en marbre.

 Je suis née à Alep et après les remous politiques en Syrie dans les années soixante nous n’allions pas à l’école. D’adorables pères jésuites se relayaient à la maison pour nous apprendre à lire à écrire dans la langue de Molière (mon père était l’ingénieur conseil de la congrégation et nous bénéficions de ce privilège grâce à lui).

J’adore le kebbé sous toutes ses formes, et je continue à le confectionner moi-même aujourd’hui. Tout y est bonheur ! Le choix de la viande, du mélange d’épices, de la garniture et les saveurs pour l’accompagner au fil des saisons.

Pour ce qui est de la cuisine européenne, ce qui m’a toujours fascinée, la confection du soufflé. Ma mère en faisait un au fromage absolument divin, avec une technique bien à elle. Enfant, je me souviens de moments fabuleux pendant lesquels, je guettais devant la vitre du four  ce nuage aérien, qui montait au rythme de la chaleur, une merveille !

 

Tu as fondé le prix Ziryâb. Quelle est sa vocation ?

Le prix littéraire Ziryâb, que j’ai fondé en 2014 est destiné à récompenser chaque année un ouvrage francophone qui raconte une belle histoire de transmission ou de tradition gastronomique et culinaire. La cuisine est culture ! Une assiette raconte tellement de l’histoire d’un pays

En 2014, nous avions encore au Liban un Salon Du Livre francophone (qui a repris timidement depuis trois ans) et j’avais été alors invitée à animer une table ronde gastronomique. Au détours de cette table ronde, j’ai eu l’idée de ce prix. Nous étions début novembre, période traditionnelle des prix littéraires, et je m’étais dit que la littérature gastronomique méritait largement d’être plébiscitée par un prix ! Je l’ai voulu comme un petit pont culturel entre l’orient d’où je viens et l’occident qui fait tellement partie de moi aussi.

J’ai donc tout de suite composé un jury avec la complicité de Salah Stetie immense écrivain et diplomate libanais que j’aimais énormément. Il était homme de goût avec une grande élégance d’esprit et d’écriture. Très gourmand, il parlait très joliment des nourritures terrestres et nous offrait de très belles poésies à chaque réunion. Jack Lang avait lui également, tout de suite accepté de suivre l’aventure. Nous étions six dans le jury de départ. Nous sommes 15 aujourd’hui !

Le prix est à sa 11ème édition et c’est toujours aussi passionnant de découvrir de nouveaux ouvrages.

Notre jury est composé de personnes d’horizons très différents. Il change régulièrement avec cinq personnes permanentes qui en sont le socle et des personnes invitées pour un an (maximum deux ans). Il faut fournir un véritable travail de lecture et avoir un vrai intérêt pour la littérature gastronomique, nous avons trois réunions annuelles autour d’un déjeuner, La cohésion du jury est très importante même si nous avons chacun notre avis. L’harmonie est essentielle

 

 Y a-t-il une œuvre, une citation ou une figure artistique qui taccompagne dans ton travail ?

Il y en a tellement. Dans la littérature française, Colette George Sand et Albert Camus sont mes idoles, Marguerite Yourcenar reste une sublime inspiration et Hervé Le Tellier dont je trouve les écrits particulièrement savoureux puisque l’on y retrouve souvent la cuisine entre les lignes, Proust bien sûr mais également Brillat Savarin et Antonin Carême.

Dans la littérature arabe Naguib Mahfouz et Mahmoud Darwich, Sâadi et Omar Khayyam.

Il y a une citation en particulier que j’aime beaucoup chez Mahmoud Darwish. Je l’avais choisie pour introduire « Goûts du Liban » dans laquelle il dit que « La terre se transmet comme une langue ». J’y pense à chaque fois que je confectionne un plat ou que je raconte l’histoire d’un plat, à mes petits-enfants.

Transmettre les traditions de la table d’un pays, c’est transmettre sa terre, son terroir, ses goûts et ses saisons.

Dans les trésors des archives de ma maison natale à Alep (devenue centre culturel aujourd’hui), j’avais découvert un livre tiré du premier manuscrit connu en cuisine, écrit par Ibn el Adim, auteur du 13 siècle qui avait vécu à Alep. Le titre, Kitāb al-Wuṣla ilā al-Ḥabīb, évoque l’être aimé, et portait déjà en lui, tout un programme.  L’ouvrage contenait beaucoup de recettes anciennes parfois décrites en une seule ligne. Il mêlait littérature, culture, et cuisine, de façon très fine avec un regard très juste et élégant sur les plaisirs de la table.

Il m’arrive d’y puiser des inspirations et de croiser les récits des recettes avec les ingrédients d’aujourd’hui. Et puis bien sûr, je ne peux oublier de citer, la cuisine de Ziryab de Farouk Maryam Bey dans la collection Sindbad et plusieurs autres livres de la même collection chez Actes Sud

 

 

 

 

Bochra Fourti

Raconter, cest résister.

 

Bochra Fourti, à travers son podcast Heya, a donné naissance à un véritable espace de parole, de mémoire et de transmission. En tendant son micro à des femmes arabes et amazighes, militantes, artistes, scientifiques, mères, elle nous offre leurs parcours, leurs luttes, leurs rêves et leurs espoirs. Pensé dabord comme un cadeau destiné à sa fille, Heya est devenu un projet collectif, féministe et profondément inclusif. Chaque épisode est une invitation à écouter autrement, à déconstruire les clichés, et à célébrer la richesse des identités plurielles.

Aujourdhui, Heya sest étendu en une maison d’édition indépendante, avec une collection jeunesse qui transmet ces récits aux nouvelles générations, parce que chaque enfant mérite des héroïnes qui lui ressemblent.

 

 Comment est né ton podcast Heya et quels ont été ses premiers pas ?

Heya est né pendant le Covid, à un moment où je me posais beaucoup de questions : sur mon identité, bien sûr, mais surtout sur ce que jallais transmettre à ma fille. Je voulais quelle grandisse avec des récits dans lesquels elle puisse se reconnaître, avec des modèles féminins arabes et amazighs qui lui montrent que ses origines sont une force.

Au départ, je pensais enregistrer trois ou quatre épisodes, sans imaginer que cela irait plus loin. Mais très vite, les retours des auditrices mont bouleversée : des messages de femmes qui se reconnaissaient dans ces récits, qui partageaient à leur tour leurs histoires. Le nombre d’écoutes a grandi rapidement, et jai compris que Heya répondait à un besoin bien plus large que le mien. Cest ainsi quil est devenu, petit à petit, un espace collectif de transmission et de sororité.

 

 Quelles voix ou récits t'a le plus bouleversée depuis le lancement du podcast ?

Toutes les voix mont marquée, chacune à sa manière. Mais certaines histoires mont particulièrement bouleversée. Je pense à Rima Hassan, née dans un camp de réfugiés palestiniens en Syrie, dont jignorais complètement lhistoire parce quelle était très peu médiatisée à l’époque. Son récit ma ouvert les yeux sur des réalités invisibles, sur la transmission de lexil à travers les générations.

Je pense aussi à Djihene, devenue championne de MMA à l’âge de 33 ans après seulement un an et demi de pratique et alors que quelques années auparavant elle était reconnue comme «travailleuse handicapée». Quand elle est revenue sur son parcours, elle a elle-même réalisé lampleur de ce quelle avait accompli, et ce moment de prise de conscience était extrêmement fort à entendre.

Et puis il y a lhistoire de Soraya, une maman au foyer qui, à plus de 40 ans, a pris la décision de divorcer pour enfin réaliser son rêve : devenir cheffe de cuisine. Son courage, sa réinvention, mont profondément inspirée.

Et je pourrais ten citer encore des dizaines… Le mieux, cest daller les écouter 🙂

 

 Pourquoi as-tu choisi de créer une maison d’édition en complément du podcast ?

Au départ, le podcast était pensé pour ma fille. Très vite, jai voulu créer aussi quelque chose qui lui parle dès maintenant, parce que planter la graine tôt est essentiel. Le livre sest imposé comme une évidence : un objet quon garde, quon relit, qui nourrit limaginaire des enfants.

Mon intention na jamais été de devenir éditrice. Dailleurs, une maison d’édition ma dabord approchée pour adapter le podcast. Jai proposé à la place une collection jeunesse, et nous avons commencé à travailler ensemble. Malheureusement, cette maison a fermé ses portes après quelques mois.

Jai alors contacté dautres éditeurs. Les derniers échanges ont été un vrai déclic : on me disait “On aime beaucoup ton projet, on est prêt à l’éditer… mais à condition denlever le mot arabe du titre, ou de remplacer larabe par langlais.” À ce moment-là, jai compris que ces livres devaient exister exactement tels que je les avais pensés.

Cest ainsi quest née Heya Stories, une maison d’édition qui donne vie à une collection jeunesse célébrant les femmes arabes et amazighes. Le premier livre est consacré à Tawhida Ben Cheikh, première femme médecin du monde arabe. Parce que nos enfants méritent des récits qui valorisent leurs racines et leur montrent quils peuvent accomplir tout ce dont ils rêvent.

 

Comment sélectionnes-tu les femmes que tu mets en lumière dans tes épisodes ou tes ouvrages ?

Je nai pas de grille. Je fonctionne beaucoup à linstinct. Au départ, Il s’agissait de femmes de mon entourage ou des personnes dont la voix résonnait avec mes propres questionnements.

Je tiens aussi à montrer une vraie diversité : des âges, des origines, des domaines très différents. Une militante, une artiste, une sportive, une mère au foyer… toutes ont quelque chose à transmettre. Ce que je cherche, ce nest pas la perfection, mais lauthenticité. Une histoire qui parle, qui inspire, et dans laquelle dautres peuvent se reconnaître.

Et puis il y a une question signature de Heya : quest-ce que la réussite pour toi ? Jadore poser cette question parce quelle montre à quel point il nexiste pas une seule définition. Réussir, ça peut être obtenir un diplôme, devenir championne, mais ça peut aussi être divorcer à 40 ans pour réaliser un rêve ou encore trouver sa liberté intérieure. Pour moi, cest essentiel de donner à entendre ces trajectoires très différentes, parce que cest ça qui fait la richesse de nos récits.

Pour les livres jeunesse, la logique est la même : aller chercher des figures parfois oubliées, pour leur redonner la place quelles méritent et offrir aux enfants des modèles auxquels sidentifier.

 

 Quel rôle jouent les langues arabe, amazighe et française dans ton travail de transmission ?

Les langues sont au cœur de ce que je fais. Le français est la langue principale du podcast, parce que cest celle qui permet de toucher le plus grand nombre. Mais larabe a une place essentielle dans ma démarche : cest ma langue maternelle, celle de mes parents, de mon histoire, de mes racines. Elle porte une mémoire et une charge affective très forte.

Je tiens aussi beaucoup aux dialectes. Ce sont les langues de lintime, celles des émotions, de la maison, de la transmission familiale. Même si elles ne sont pas parlées dans les épisodes, elles habitent le projet.

Cest pour ça que tous les livres jeunesse sont accompagnés dune version audio (tunisien, marocain, algérien, palestinien) accessible via un QR code. Les enfants peuvent ainsi écouter les histoires dans différents dialectes. C’était important pour moi de donner une vraie place à cette oralité, à ces langues qui portent nos souvenirs et notre imaginaire collectif.

Faire dialoguer le français, larabe, les dialectes, cest montrer que nos identités sont plurielles et quelles senrichissent mutuellement.

 

 Peux-tu nous partager une phrase, une citation ou un enseignement qui t'inspire ?

Il y a une phrase qui résume parfaitement ce que jessaie de faire avec Heya : « Raconter, cest résister ».
Chaque fois quune femme partage son histoire, elle résiste à loubli, aux stéréotypes, aux récits imposés. Et cest cette conviction qui me guide, que ce soit dans le podcast ou dans les livres.

Et puis, à titre plus personnel, je garde toujours en tête lidée quune histoire entendue ou lue dans lenfance peut changer toute une trajectoire. Cest ce qui me motive à planter ces graines tôt, pour ma fille et pour toutes celles et ceux qui liront ou écouteront Heya Stories.

 

Lien pour encourager la maison d'édition  https://www.ulule.com/heya-livres-jeunesse/

 

 

 

Leïla Aoujdad

Leïla Aoujdad a fondé l’association Femmes et Diversité, un projet né de son engagement pour la reconnaissance des identités plurielles et la lutte contre les stéréotypes. Elle est  directrice d'Aleph Conseils, un cabinet spécialisé en RSE et expert en empowerment féminin.  Elle anime également un bookclub, où elle donne la parole à des auteures qui explorent, à travers l’écriture, les enjeux liés aux expériences féminines.

Son travail interroge les représentations, célèbre les parcours de résilience, et crée des espaces de transmission et de sororité. Leïla tente de construire des ponts entre les cultures, les générations et les récits. Elle a notamment réalisé le documentaire Les Tisseuses, qui explore les enjeux de corps, de droits et de mémoire.

 

Comment est née l’idée de créer Femmes et Diversité et quel a été le déclic personnel derrière ce projet ?

L’idée est née de mon vécu et de mes rencontres. J’ai souvent constaté que la parole des femmes issues de la diversité, malgré leur richesse et leur force, restait en marge du récit collectif. Le déclic a été le désir profond de créer un espace où elles puissent être visibles, audibles et reconnues, non pas comme des exceptions mais comme des actrices essentielles de notre société. 

Femmes et Diversité est née de cette conviction : que nos histoires individuelles ont une puissance universelle lorsqu’elles sont partagées.

 

Ton documentaire Les Tisseuses aborde des sujets sensibles, comment as-tu choisi les femmes à mettre en lumière ?

J’ai choisi des femmes qui, chacune à leur manière, portent une lumière dans leur quotidien. Des femmes ordinaires, mais qui révèlent une force extraordinaire lorsqu’elles racontent leurs parcours. J’ai voulu montrer la diversité des trajectoires, des origines, des luttes et des rêves, afin que chacun.e puisse s’y reconnaître, s’y inspirer, ou simplement se laisser toucher par leur humanité. Je crois à la force de l'image et des récits pour changer le regard, c'est donc dans cette optique que je me suis lancée dans cette aventure cinématographique !

 

Le bookclub est très actif, pourquoi avoir choisi la littérature comme vecteur de transmission ?

Parce que la littérature est un miroir mais aussi une fenêtre. Elle permet à la fois de se reconnaître et de découvrir d’autres mondes. Elle offre un espace de réflexion, de dialogue, parfois de réparation. Choisir la littérature dans toute sa diversité (poésie, conte, roman, etc.), c’était choisir un langage universel, capable de relier des personnes très différentes autour d’une même émotion ou d’une même idée.

 

Quels obstacles as-tu rencontrés en tant que femme réalisatrice et fondatrice d’association ?

Comme beaucoup de femmes, j’ai dû affronter le doute des autres, mais aussi parfois le mien. Le manque de moyens, la difficulté de se faire une place dans des milieux encore très fermés, et l’équilibre entre vie personnelle et engagement ont été des défis constants. Mais chaque obstacle a renforcé ma détermination et m’a rappelé pourquoi il était essentiel de continuer.

 

 Si tu pouvais adresser un message à toutes les jeunes filles qui doutent d’elles-mêmes, que leur dirais-tu ?

Je leur dirais : ton doute est normal, mais ne le laisse pas te paralyser. Comme dirait une jeune fille dans mon fil "N'écoute pas ceux qui te condamne à l'échec" Derrière chaque peur se cache une force en devenir. Tu es bien plus puissante que tu ne l’imagines, et chaque pas que tu oses faire, même petit, est déjà une victoire. Crois en ton intuition, elle sait où t’emmener et elle te fera rencontrer les meilleures personnes pour t'accompagner.

 

Peux-tu partager une phrase, une citation ou un enseignement qui t’inspire particulièrement ?

Une phrase que je garde toujours en tête : « Ce que tu fais pour toi-même disparaît avec toi, ce que tu fais pour les autres reste et devient immortel. » C’est un rappel que notre véritable héritage réside dans ce que nous transmettons.

 

 

Liens utiles

"Le pouvoir d'agir des femmes par l'image et les récits inspirants"

Femmes & Diversité - Leila Aoujdad - YouTube

 

Un film documentaire

Les Tisseuses - bande annonce - YouTube

 

Médias

Leila Aoujdad - association Femmes et Diversité en replay - Vous êtes formidables - Auvergne Rhône Alpes | France TV

 

Leila Aoujdad – Femmes des territoires

 

Pour nous soutenir

https://linktr.ee/femmesetdiversite

Salima Guerziz

L’humour comme une évidence.

 

Après une carrière brillante dans le secteur bancaire, Salima Guerziz décide de tout plaquer pour suivre la voie qui l’appelle depuis l’enfance : la scène. Avec une audace rare, cette maman de trois enfants transforme son rêve en réalité et impose son style, entre énergie contagieuse et présence scénique magnétique. Précurseure du stand-up à Grenoble, Salima fonde le QG Comedy Grenoble, premier lieu entièrement dédié au Stand Up dans la capitale des Alpes. Ce carrefour artistique accueille des talents venus de toute la France et devient rapidement une référence dans le milieu du stand-up.

Sur scène, Salima Guerziz s’illustre aux côtés des plus grands : Waly Dia, Djamil Le Shlag, Sellig, Patson. Sa personnalité authentique, son charisme et son humour percutant séduisent un public toujours plus large. Invitée au Festival Arabesque, événement culturel phare célébrant les talents issus des cultures arabes et méditerranéennes, elle y partage l’affiche avec le Comte de Bouderbala & Friends, marquant encore un peu plus son empreinte dans le milieu.

Mais c’est surtout sur les planches du mythique Théâtre Le République à Paris, où elle présente régulièrement son spectacle, que Salima affirme définitivement sa place dans le paysage humoristique français. Aujourd’hui, Salima Guerziz est plus qu’une humoriste : elle est une pionnière, une créatrice d’espace artistique et une voix incontournable du stand-up français.

 

Tu as quitté le monde de la banque pour monter sur scène. Qu’est-ce qui t’a poussée à faire ce grand saut ?

J’ai longtemps travaillé dans le secteur bancaire, un milieu qui faisait la fierté de mon père. Mais, au fond de moi, je savais que je n’étais pas à ma place. Ce métier ne correspondait ni à mes valeurs ni à ma personnalité, et malgré les différents postes occupés, je n’ai jamais réussi à m’y épanouir.

En 2021, lorsque je suis tombée malade, j’ai eu un déclic : la vie est trop précieuse pour ne pas faire ce qu’on aime vraiment. Monter sur scène, au départ, était une passion, un moment de partage et même une forme de thérapie. Aujourd’hui, c’est devenu une évidence : j’espère en faire mon métier et vivre pleinement de ce qui me fait vibrer.

 

Comment s’est passée ta toute première expérience sur scène ? Tu t’en souviens encore ?

 Ma toute première expérience sur scène remonte à juin 2019, lors de la représentation de fin d’année de mon cours de théâtre. J’y jouais Fatiha, ma mère, en la caricaturant, devant mes amis et ma famille. Je me souviens du stress intense avant de monter sur scène mais aussi de cette sensation étrange de déjà-vu, comme si cet univers m’était familier. Et puis, le moment est arrivé : je me suis avancée, j’ai croisé le regard du public et, à cet instant précis, j’ai su. La scène, c’était chez moi. J’avais enfin trouvé ma place, j’étais libre.

 

Tu es la fondatrice du QG Comedy Grenoble. Comment est né ce projet et quelle est sa mission ?

 Avant de fonder le QG Comedy Club, je faisais sans cesse des allers-retours à Paris pour jouer quelques minutes sur scène, car à Grenoble il n’y avait nulle part où se produire. En juin 2021, tout bascule : je tombe malade d’une polyarthrite rhumatoïde déformante. Je n’arrive plus à marcher correctement, je suis épuisée et mes articulations me brûlent au point de m’empêcher de faire les gestes du quotidien. Les traitements lourds et leurs effets secondaires m’obligent à stopper mes allers-retours à Paris. Un jour, alors que je me rends chez Michel Musique pour acheter des partitions, je découvre une petite scène atypique au centre de la boutique. C’est le coup de cœur immédiat. Avec mon mari, nous rencontrons le propriétaire du lieu qui adhère tout de suite à notre projet et nous ouvre ses portes. C’est ainsi qu’est né le QG Comedy Club : un lieu unique à Grenoble où je n’avais plus besoin de partir loin pour jouer, créer et improviser. Sans le savoir, j’y écrivais déjà mon spectacle. Le QG a très vite été adopté par les Grenoblois, pour mon plus grand bonheur. Car avant tout, mon objectif est simple : faire du bien aux personnes qui viennent nous voir, grâce à l’humour et au partage.

 

Qu’est-ce qui t’inspire dans l’écriture de tes sketchs ? Des anecdotes personnelles, l’actualité, ton quotidien ?

 Monter sur scène, pour moi, c’est bien plus qu’un métier : c’est une véritable thérapie. Dans ma vie, j’ai traversé des épreuves très dures et, sans l’humour pour dédramatiser, je ne sais pas comment j’aurais tenu. J’aime rire de mes galères, les transformer en sketchs et en moments de partage. Ma vie m’inspire toujours : mes expériences de femme, de maman, de malade… Tout devient matière à raconter et à faire rire. J’aime aussi dénoncer dans mes sketchs, car je crois que la scène est un espace de liberté où l’on peut faire réfléchir et prendre du recul sur des situations d’injustice, qu’il s’agisse du voile en France, du racisme ou d’autres sujets qui me tiennent à cœur.

Et puis je me dis souvent, le jour où je n’aurai plus d’inspiration, c’est que je n’aurai plus rien à raconter. Et là, ce serait vraiment triste, est-ce que ça voudra dire que je ne vois plus les choses de la même façon, que je suis devenue vieille et aigrie (lol) ?

 

Quel est le plus beau retour que tu aies reçu d’un spectateur ou d’une spectatrice ?

« Je voulais vous dire merci. Merci pour ce moment de rire, de joie et d’émotion qui m’a fait un bien énorme. Je me permets de vous confier que je suis actuellement suivie en psychiatrie, suite à une tentative de suicide liée à une grosse dépression. Et pendant votre 1h30 de spectacle, pour la première fois depuis plus de deux ans, je n’ai pensé à rien d’autre qu’à rire. Alors merci, vraiment. »

Ce retour restera gravé en moi toute ma vie. Et dans les moments de doute, car dans ce métier, il y en a beaucoup, je repense à la phrase de cette femme et je me rappelle pourquoi je continue : pour faire du bien aux autres.

 

Peux-tu partager une phrase, une citation ou un enseignement qui t’inspire particulièrement ?

Dans mon enfance, j’ai rencontré un homme d’une gentillesse et d’une générosité sans limite. Jean Baillard était un bénévole qui venait nous aider aux devoirs dans une association de mon quartier. J’avais 12 ans quand il m’a dit cette phrase :

« Salima, le plus important, ce n’est pas de réussir dans la vie, mais de réussir sa vie. »

Ces mots ont résonné en moi dès ce jour, et ils résonnent encore aujourd’hui. Je les répète souvent à mes enfants, pour leur rappeler l’essentiel.

 

 

Liens utiles :

Spectacle : "Salima Se Dévoile"

Prochaine date au QG Comedy Club, Grenoble.

Salima Guerziz dans Salima se dévoile - QG Comedy Club-Chez Michel Musique Live - Billet Réduc

Prochaine date au République, Paris.

Salima se dévoile - Le République - Billet Réduc

Instagram :

Salima Guerziz (@salima_guerziz) • Photos et vidéos Instagram

L’art tactile, une démarche qui a du sens.

 

                                                Chantal Rubio, fondatrice de l’association Pourquoi pas moi CLAIR ? milite depuis plusieurs années pour une société plus équitable et ouverte à tous. Installée en Ariège, elle est également référente inclusion pour la Fédération Léo Lagrange de Toulouse, accompagnant une dizaine de CLAE (sur 28) dans l’accueil d’enfants à besoins éducatifs particuliers. C’est une femme au charme solaire, qui me parle avec un accent chantant du Sud-Ouest. Elle ne contourne aucune question, évoque avec une franchise désarmante ce qui l’attend dans quelques mois : une cécité complète. Touchée par une malvoyance liée à une myopie évolutive dégénérative, associée à un glaucome, Chantal voit sa vision décliner irrémédiablement. Elle a conscience qu’elle perdra totalement la vue dans un avenir proche.

 « J’ai toujours su depuis l’enfance qu’un jour je ne verrai plus. Je me suis toujours dit : si les autres y arrivent, pourquoi pas moi ? Ma maman s’est battue pour moi. Depuis toute petite, je fais fi des obstacles. Mais aujourd’hui, le couperet est tombé, la cécité n’est plus une hypothèse, c’est une certitude qui sera-là dans 6 à 8 mois. »

 

Son parcours professionnel l’a aidée à apprivoiser la peur liée à la perte de la vue. Elle parle de résilience, nourrie par les échanges avec d’autres personnes déficientes visuelles.

 

« J’ai annoncé à mes équipes que j’allais devenir aveugle. Je veux leur soutien, pas leur compassion. »

 

Chantal rappelle que la moitié des personnes malvoyantes sont sans emploi, souvent par crainte pour leur sécurité ou faute d’aménagements adaptés. Elle invite à prendre exemple sur les pays scandinaves ou la Belgique, où l’inclusion est pensée de manière plus pragmatique.

 

 « Les lois et les décrets existent, mais leur application sur le terrain reste laborieuse. Parfois, quelques ajustements suffiraient. »

 

L’art tactile, une démarche qui a du sens.

 

Infatigable, Chantal Rubio multiplie les initiatives. L’une d’elles lui tient particulièrement à cœur : un projet photographique tactile né d’une rencontre fortuite avec Marie Colombie, artiste plasticienne engagée, lors du festival du film de Luchon en 2017, organisé la Fédération des Aveugles et amblyopes de France. Originaire du Tarn, Marie Colombie défend une approche sensorielle et inclusive de l’art. Son initiative Jusqu’au bout de nos doigts réunit photographes professionnels et personnes déficientes visuelles autour d’œuvres sculptées et tactiles. Reçue au ministère de la Culture, son travail a été salué pour sa capacité à faire tomber les barrières de la différence. Sa devise est la suivante :

« Je souhaite que chacun puisse trouver sa place, vivre et exister ensemble avec nos différences, sans différence. Ce sont les différences qui font la richesse de l’humanité. »

Chaque exposition invite les visiteurs, qu’ils soient voyants ou non, à participer à des ateliers immersifs. Dans l’un d’eux, ils sont conviés à plonger dans le noir, à explorer les œuvres par le toucher, et à les faire décrire par des personnes malvoyantes. Cette démarche poétique évoque la célèbre phrase de Saint-Exupéry : « On ne voit bien qu’avec le cœur. » Les ressentis se partagent, les émotions circulent, et les enfants, notamment, s’enthousiasment pour cette expérience sensorielle hors du commun.

Aux côtés de Chantal et Marie, Marianne Pradère joue un rôle essentiel. Chargée de mission et photographe, elle est engagée auprès de l’association Pourquoi pas moi, CLAIR ? , récemment distinguée par le Trophée régional de l’innovation sociale pour ses actions en faveur de l’autonomie des personnes malvoyantes et dys. Elle anime des ateliers de compensation (cuisine, hortithérapie, etc.) qui permettent aux participants de renforcer leur autonomie au quotidien. Elle a également contribué par ses clichés au projet d’art tactile, une expérience qui a profondément transformé son regard artistique :

« Il y a un terme que nous utilisons entre nous pour décrire l’exposition : des photos qui sortent du cadre », confie Marianne. « À l’époque, j’étais correspondante pour un quotidien local et je couvrais toutes les actions de l’APPM. En parallèle, j’étais photographe indépendante. En 2013, Chantal est venue me voir pour que je fasse prendre des photos aux adhérents avec déficience visuelle.  Je n’ai pas réfléchi, j’ai dit oui, sans assurer mon appareil photo ! » Elle concède  : « J’étais trop technique. Il n’a fallu que deux séances pour que je comprenne comment les participants fonctionnaient. Avec l’enregistrement des ressentis de chacun à chacune de leur prise de vue, et au vu des résultats, j’étais particulièrement frustrée que les apprentis photographes ne voient pas leurs photos. »

Ce n’est qu’en 2020, après une reconversion professionnelle liée à l’aggravation de son propre handicap (malentendante et atteinte d’un trouble de l’équilibre dû à une dégénérescence de l’oreille interne), que Marianne intègre officiellement l’association en tant que chargée de missions. Discrète, elle préfère rester en retrait. « Je suis plus dans la logistique et la technique, en tant que guide pour les personnes avec déficience visuelle. »

Entre Chantal, Marie et Marianne, s’est tissé un lien profond, fait de respect, de bienveillance et d’engagement. Chacune, à sa manière, contribue à bâtir une société plus inclusive, où l’art devient un langage commun, accessible à tous. Leur collaboration, nourrie par l’écoute et la solidarité, redéfinit les contours de l’inclusion. Comme le résume avec justesse Marianne : « grâce aux remarques et conseils des adhérents et de Chantal, Marie a fait évoluer son travail. C’est un art nouveau, qui n’existe pas. Aujourd’hui, on fait des repros de photos en 3D avec une imprimante 3D. Ce que fait Marie, personne ne le fait, pas comme elle le fait. »

Un art qui sort du cadre, à l’image de ces femmes qui, ensemble, repoussent les limites du possible.

Guerziz Naima

 

Nom complet de l’association :

Association Pourquoi pas moi, CLAIR André Montané

Abréviations :

C.L.A.I.R : Centre Local Autonomie inclusion et réadaptation, pour l’Inclusion et l’Accompagnement des personnes en situation de handicap visuel et multiDys.

APPM : Association Pourquoi Pas Moi

 

 

Selma Bensouda

Modératrice littéraire, médiatrice culturelle et programmatrice artistique franco-marocaine, le travail de Selma Bensouda se situe à la croisée des livres, de l’histoire de l’art et de la transmission. Elle intervient dans de nombreux festivals et événements littéraires en France et à l’international, où elle anime des rencontres autour de la littérature marocaine et francophone.

Elle est également créatrice de capsules vidéo sur l’histoire du Maroc, et anime le podcast "Marocains du monde", qui donne la parole à des figures marocaines de la diaspora.

Sur Instagram, elle partage ses coups de cœur littéraires dans une chronique sensible et engagée intitulée "Le Calame de Salma", où elle met en lumière des ouvrages souvent méconnus, des voix féminines, et des réflexions sur la mémoire, l’exil et la création.

 

Le Calame de Salma est un espace littéraire apprécié sur Instagram. Comment choisis-tu les livres que tu y présentes ?

Par coup de cœur généralement, ou alors lorsqu’un livre a été très instructif et mérite d’être partagé au plus grand nombre. J’ai cette chance de lire beaucoup, toutes sortes de livres : ma préférence va aux romans, mais je suis amenée à lire des essais ou documents en rapport avec les capsules Histoire que je produis.

 

Tes capsules sur l’histoire du Maroc revisitent des épisodes souvent oubliés. Comment construis-tu ces récits ?

Cette aventure a commencé par des recherches que j’avais faites sur le protectorat pour un autre projet, et j’ai réalisé à quel point on connaissait peu notre histoire. Sans savoir si j’étais la seule dans ce cas, j’ai commencé par publier une première vidéo avec le contenu que j’avais, qui a bien fonctionné et qui m’a confirmé dans cet intérêt partagé que nous, Marocains, avons pour notre histoire et notre patrimoine et qui, souvent, sont peu accessibles hors parcours ou publications académiques. Ensuite, c’est au gré de mes lectures, des podcasts que j’écoute, ou parfois même des gens qui m’écrivent pour me donner des idées. J’effectue des recherches poussées, je ne publie jamais rien qui ne sont historiquement fiable ou sourcé, j’écris un script court et ludique, puis je tourne avec mon iPhone.

 

Ton podcast "Marocains du monde" donne la parole à des voix diasporiques. Quel est le fil rouge de ces témoignages ?

Clairement, le rapport au Maroc : qu’est-ce qu’il représente depuis qu’on est partis, est-ce que notre sentiment envers lui a changé, comment le ressent-on et qui est-on par rapport à lui. Moi-même étant en France depuis plus de vingt ans, je me questionne constamment sur le rapport que j’ai avec le Maroc, la nostalgie qui peut parfois idéaliser ce qu’on a quitté, le manque des siens, le sentiment de l’aimer plus parce que justement on est partis, peut-être pour mieux lui revenir qui sait, puis la légitimité à parler de lui lorsqu’on est loin.

 

Comment conçois-tu ton rôle de modératrice littéraire dans des festivals comme celui du Livre de Paris ?

Comme une opportunité d’échanger avec les autrices et auteurs sur leur conception de la littérature, et ce qu’ils mettent d’elles et d’eux dans leurs livres. C’est toujours très enrichissant.

 

Quels sont tes prochains projets ou rêves culturels que tu aimerais concrétiser ?

Il y en a tellement ! J’essaye de prioriser selon ce qu’il est réaliste et possible de faire. En ce moment, je rêverais de sillonner le Maroc pour filmer sur place des capsules historiques. J’aimerais aussi beaucoup construire des projets avec les acteurs culturels sur place autour du patrimoine et de l’histoire, rouvrir certains lieux historiques en lieux culturels, travailler sur la réhabilitation des médinas d’un point de vue culturel et à l’accessibilité de la culture en général.

 

Y a-t-il une œuvre, une citation ou une figure artistique qui t’accompagne dans ton travail ?

Un peu longue comme citation, c’est plutôt un extrait de Léon l’africain d’Amin Maalouf :

Moi Hassan fils de Mohamed le Peseur, moi, Jean-Léon de Médicis, circoncis de la main d'un barbier et baptisé de la main d'un Pape, on m'appelle aujourd'hui l'Africain... On m'appelle aussi le Grenadin, le Fassi, le Zayyati, mais je ne viens d'aucun pays, d'aucune cité, d'aucune tribu. Je suis fils de la route, ma patrie est caravane, et ma vie est la plus inattendue des traversées.

Mes poignets ont connu tour à tour les caresses de la soie et les injures de la laine, l'or des princes et les chaînes des esclaves. Mes doigts ont écarté mille voiles, mes lèvres ont fait rougir mille vierges, mes yeux ont vu agoniser des villes et mourir des empires.

De ma bouche tu entendras l'arabe, le turc, le castillan, le berbère, l'hébreu, le latin et l'italien vulgaire, car toutes les langues, toutes les prières m'appartiennent.

Mais je n'appartiens à aucune. Je ne suis qu'à Dieu et à la terre, et c'est à eux qu'un jour, je reviendrai.

Et tu resteras après moi, mon fils. Et tu porteras mon souvenir. Et tu liras mes livres. Et tu reverras alors cette scène : ton père, habillé en Napolitain sur cette galée qui le ramène vers la côte africaine, en train de griffonner, comme un marchand qui dresse son bilan au bout d'un long périple.

Mais n'est-ce pas un peu ce que je fais : qu'ai-je gagné, qu'ai-je perdu, que dire au Créancier suprême ? Il m'a prêté quarante années, que j'ai dispersées au gré des voyages : ma sagesse a vécu à Rome, ma passion au Caire, mon angoisse à Fès, et à Grenade vit encore mon innocence.

 

 

Clémentine Domptail

 

Clémentine Domptail est une artiste aux multiples facettes : comédienne, auteure, voix off. Elle s’est formée dans plusieurs écoles de théâtre, notamment celle du Mime Marceau et auprès de Vladimir Ananiev, maître de dramaturgie corporelle au GITIS de Moscou. Elle débute au cinéma dans La Chambre obscure (1999) et Petites misères (2000), puis s’impose à la télévision avec des rôles marquants dans Mon vrai père, Avocats et Associés, et surtout Plus belle la vie, où elle incarne Patricia Estève, un personnage attachant qui lui vaut la reconnaissance du grand public. En parallèle, elle développe une carrière dans le théâtre avec la compagnie El Vaïven, prête sa voix à des livres audio pour Audiolib, et réalise des projets personnels comme le conte pour enfants Eliazar, l’Oiseau Rare. Sa sensibilité artistique et son engagement dans des récits forts font d’elle une figure singulière du paysage culturel français.

Clémentine, quel a été le déclic pour devenir comédienne ? 

Je ne me sentais pas vraiment à ma place à l’école, je me sentais très différente. Ce sont mes parents qui m’ont encouragée à prendre un autre chemin. Alors j’ai commencé le théâtre, et sur un plateau, je me sentais mieux, plus proche de l’“être”… Très vite, j’ai compris que j’avais besoin d’évoluer dans le milieu artistique, d’être dans la créativité.

 

Tu as joué dans Plus belle la vie. Que retiens-tu de cette expérience ? 

Beaucoup de plaisir ! Que du plaisir ! C’est une aventure humaine et professionnelle incroyablement riche. J’ai énormément appris. Le rythme est intense : il faut être très réactif et donner le meilleur de soi rapidement. Et puis, cela laisse de très beaux souvenirs, car c’est une série qui a marqué énormément de gens.


Le théâtre ou l’écran : où te sens-tu le plus libre ?
Sur scène, il y a l’adrénaline du direct, l’énergie du public, c’est un moment unique. Une fois lancée, on va jusqu’au bout, quoi qu’il arrive. Sur un plateau de tournage, les scènes sont découpées et souvent tournées dans un ordre décousu. La caméra capte tout, ce qui demande une autre forme de précision, concentrée en quelques prises pour chaque séquence. J’aime les deux : ce sont deux expériences magiques qui exigent d’être pleinement dans le présent. Deux libertés différentes, mais profondément complémentaires.

 

Tu prêtes ta voix à des livres audio. Qu’est-ce qui t’attire dans cet exercice ? 

Livre audio, documentaire, voice-over, post-synchronisation… Le domaine vocal est vaste. Mais oui, beaucoup de livres, et j’adore cet exercice. Jouer avec sa voix, la moduler, créer des atmosphères, incarner à la fois la narratrice et les personnages, guider l’imaginaire, créer une proximité avec l’auditeur pour lui transmettre une histoire,  c’est passionnant. Comme tout travail exigeant, cela demande beaucoup d’énergie et de concentration, mais j’y prends énormément de plaisir.

 

As-tu un conseil pour les jeunes artistes ? 


Je crois que l'essentiel est de vraiment  croire en soi, de bien s’entourer et de persévérer.

 

Peux-tu nous partager une phrase, une citation ou un enseignement qui t’inspire ?
J’aime me répéter : “Crois en toi, crée ta propre réalité… TOUT est possible.” Il y a une citation qui s’en rapproche et que j’aime beaucoup : « Crois en tes rêves et ils se réaliseront peut-être. Crois en toi et ils se réaliseront sûrement. »  Martin Luther King Jr. Et j’apprécie aussi celle d’Oscar Wilde : « Il faut viser la lune, car même en cas d’échec, on atterrit dans les étoiles. »

 

Sonia Salhi

Sonia Salhi est autrice, rédactrice et accompagnatrice littéraire passionnée par les mots depuis l’enfance. Elle est notamment connue pour sa collaboration avec La Dictée pour tous, pour laquelle elle rédige les textes des grandes finales, lus par des personnalités comme
Rima Abdul Malak, Fred Musa ou Cindy Fabre. De cette expérience naît son premier ouvrage, Dictées pour tous : pour s’entraîner en famille ! coécrit avec Abdellah Boudour, un recueil de dictées commentées destiné à améliorer l’orthographe de manière ludique et accessible. En 2024, elle devient la plume officielle de la dictée du concours Miss France, ajoutant une dimension littéraire à l’épreuve de culture générale. Aujourd’hui, Sonia Salhi accompagne celles et ceux qui souhaitent écrire leur propre livre, en proposant un suivi personnalisé, structuré et bienveillant.

 Peux-tu nous raconter ton parcours, de l’enseignement à l’écriture professionnelle ?
J’ai suivi un parcours des plus classiques pour arriver à mon rêve d’enfant : devenir professeur de lettres. Depuis toujours, j’aime la littérature et l’enseignement. J’ai donc passé un baccalauréat littéraire qui m’a menée vers une licence de lettres et un Master spécialisé dans les métiers de l’enseignement. J’ai enseigné le français pendant 10 ans, au collège et au lycée. Par la suite, j’ai expérimenté l’enseignement du FLE auprès d’un public adulte avec qui j’ai découvert une autre dimension de l’enseignement : moins de gestion de classe et plus de liberté pédagogique.
C’est en 2020, pendant la pandémie de Covid, que l’opportunité d’écrire s’offre à moi. C’était aussi un rêve d’enfant. Écrire un livre, quel que soit son genre, c’est pour moi s’extraire de son individualisme et apporter une part de soi à l’autre. Lorsqu’Abdellah Boudour me propose de coécrire un livre qui sera la vitrine de son association La Dictée pour tous, j’accepte tout de suite sans même prendre le temps de réfléchir. Réfléchir, à ce moment-là, c’était ouvrir la porte aux doutes et au sentiment d’illégitimité qui nous étreint avant chaque aspiration. Pendant toute la conception du livre, de l’écriture jusqu’à son impression, j’ai vécu chaque étape comme un exercice formateur. Après la sortie du livre, et grâce à la visibilité et la légitimité qu’il m’a apportées, j’ai été sollicitée par des personnes qui souhaitaient elles aussi expérimenter le monde de l’édition en écrivant leur livre. J’ai alors imaginé un parcours personnalisé qui apporterait à chaque auteur des ressources et des outils concrets pour pallier les difficultés rencontrées à chaque étape du processus d’écriture. En professionnalisant ma passion pour l’écriture et la transmission, je me suis finalement créé une place dans le domaine de l’écriture et, grâce notamment à la force des réseaux sociaux, j’ai eu l’occasion de collaborer sur de nombreux projets, comme le concours Miss France, les concours d’éloquence et les prix littéraires, par exemple.

 

Comment est née ta collaboration avec La Dictée pour tous, et qu’est-ce que cette expérience t’a apporté ?
Ma première rencontre avec La Dictée pour tous était « royale » : c’est lors d’une dictée géante au château de Versailles que je rencontre Abdellah Boudour, que je connaissais déjà sur les réseaux sociaux. J’étais encore professeure et, avec ma collègue, professeure d’anglais, nous avons accompagné nos élèves pour participer à l’événement. Avec Abdellah, nous sommes restés en contact. Quelques semaines plus tard, il m’appelle et me propose d’écrire le texte de la finale de son concours qui a eu lieu sur le toit de l’Arc de Triomphe. Après plusieurs collaborations de ce type, il me parle de son projet de recueil de dictées et, avec notre éditrice, nous commençons ce projet éditorial jusqu’à la sortie du livre, en mai 2022. Cette collaboration m’a apporté bien plus que ce j’aurais pu attendre ! D’abord, c’est une grande amitié avec Abdellah avec qui je partage énormément au quotidien : nos centres d’intérêt, nos idées, nos projets… Évidemment, grâce à sa notoriété, La Dictée pour tous m’a offert de formidables opportunités, organiser une dictée géante à la Fnac à Tunis, être lectrice dans les salons du ministère de la Culture, aux côtés de la ministre Rachida Dati…Ce sont des moments forts pendant lesquels on rencontre un public varié, ceux qui sont passionnés par les mots ou ceux simplement venus partager un moment convivial et ludique, mais avec qui l’on partage de grandes émotions et des échanges qui nous enrichissent et qui parfois même nous émeuvent. Chaque dictée est une expérience unique.

 

 Tu accompagnes des personnes dans l’écriture de leur livre. Comment se déroule cet accompagnement ?
C’est une prestation personnalisée et complète qui va de l’idée du livre à écrire à la rédaction complète du manuscrit. Je l’ai imaginée comme une collaboration professionnelle et bienveillante. Il y a plusieurs étapes, dont la première est un appel téléphonique pour me
présenter le projet et les difficultés rencontrées ainsi que les attentes de l’auteur. Par la suite, j’envoie un questionnaire détaillé qui me permet de poser le cadre de l’accompagnement et de proposer un devis sur mesure. Lorsque l’accompagnement commence, l’auteur reçoit un plan de travail personnalisé constitué de fiches pédagogiques visant à l’aider dans la rédaction et la structure du texte. Ensuite, lorsque l’auteur est prêt à écrire, je fais un retour sur les trois premiers chapitres (sous forme de synthèse de lecture déterminant les points forts et les points faibles), puis sur la première moitié du manuscrit et enfin, la seconde moitié, le tout sous forme de commentaires en marge, sur Word. Pendant tout le temps de l’accompagnement, j’échange régulièrement avec l’auteur pour vérifier l’avancée de l’écriture du manuscrit et apporter de l’aide et du soutien.

 

Quelles sont les difficultés les plus fréquentes que rencontrent les aspirants auteurs, selon toi ?

La première des difficultés rencontrées, c’est celle du sentiment d’illégitimité, ou le syndrome de l’imposteur. Trop souvent, les auteurs qui me contactent me parlent de leur blocage lié à ce sentiment : ils veulent écrire, ils ont beaucoup à raconter, à partager, mais ils ne s’en sentent pas capables, car ils pensent ne pas être à leur place pour le faire. Ce sentiment est bien ancré, et trouve ses origines dans un contexte bien précis : on nous a fait croire depuis toujours qu’écrire un livre était le monopole des intellectuels et des classes aisées. Il faut du temps pour déconstruire ces préjugés, casser ces idées pour faire admettre à ces personnes qu’elles ont elles aussi le droit d’écrire et d’en faire une normalité. La deuxième des difficultés les plus présentes ; c’est celle de la structuration des idées, ou comment articuler et ordonner ses idées pour en faire des chapitres qui eux-mêmes feront un livre. C’est souvent le cas des personnes qui n’ont pas l’habitude d’écrire ou de synthétiser à l’écrit. Pour toutes ces difficultés, j’ai créé des ressources sous forme de fiches ou de dossiers qui proposent des solutions, des astuces, ou des exercices pour résoudre le problème rencontré. En somme, il n’y a pas de problèmes, il n’y a que des solutions !

 

Quel conseil donnerais-tu à quelqu’un qui rêve d’écrire mais n’ose pas se lancer ?
Le premier conseil que je donnerai, sans hésiter c’est : prends un stylo, là, maintenant, et écris. N’attends pas demain, n’attends pas le « bon moment », car il n’existe pas. Je crois qu’on attend beaucoup trop avant de passer à l’action, pour de nombreuses raisons. Par peur, par manque de confiance, ou parce que l’on veut que toutes les conditions soient favorables mais, en réalité, ce sera très rarement le cas. Plus on écrit, et plus cela devient une habitude, un rituel. Alors, autant commencer tout de suite.

Peux-tu nous partager une phrase, une citation ou un enseignement qui t’inspire ?
J’aime beaucoup la citation de Colette, « il faut avec les mots de tout le monde écrire comme personne ». J’aime la simplicité dans l’écriture, employer les mots dans lesquels tout le monde se retrouvera. Cela dit, je pense que chaque auteur doit travailler à créer son propre style, son aura littéraire qu’il doit trouver en lui-même, de façon naturelle et sans y mettre de fioritures pour ne pas altérer son authenticité dans sa façon d’écrire. C’est ce que je souhaite à tous les aspirants auteurs qui nous liront.

 

Judith T. Mélusine

Judith T. Mélusine est une autrice, passionnée par les littératures de l’imaginaire. Professeure de lettres depuis plus de quinze ans,  lectrice boulimique, avide de découvrir de nouveaux univers, en 2022, elle prend la plume avec l’envie de donner une nouvelle vie à ses textes. Son premier roman, Variants 9, plonge les lecteurs dans un monde contemporain où certains humains développent des capacités exceptionnelles. Elle a également écrit un roman pour enfants et un roman fantasy . Judith T. Mélusine incarne une autrice à la croisée du fantastique, de la science-fiction et du roman psychologique, avec une voix singulière qui interroge notre rapport à la différence, au
pouvoir et à la perception.


Tu es professeure de lettres et autrice. Comment ces deux rôles s’enrichissent-ils mutuellement ?
Quand j’ai commencé à écrire, je tenais à garder ces deux aspects séparés. Le nom de plume tombait plutôt bien pour ça. Je crois que j’avais peur d’être trop à découvert si mon cercle professionnel me lisait. Je craignais aussi de devoir me censurer dans mes livres par
désir, conscient ou non, de me conformer à mon rôle d’enseignante jusque dans mes écrits. Et puis bien sûr, les choses ont fini par fuiter.
En réalité, écrire a fait de moi une meilleure enseignante. Plus précisément, une meilleure formatrice. En me confrontant moi-même à la difficulté d’obtenir le mot juste, j’ai appris à mieux accompagner mes élèves dans leur propre progression d’écriture, à mettre plus vite le
doigt avec eux sur les blocages qu’ils pourraient rencontrer. Cela m’a aussi donné une autre aura auprès de mes élèves : l’écrivain n’est plus cette personne inaccessible, virtuelle, voire morte depuis des siècles. J’ai gagné une double légitimité face à eux : quand nous analysons les textes lus et leurs procédés d’écriture, je sais de quoi je parle. Cela m’aide à en faire de meilleurs écrivains eux-mêmes, mais aussi de meilleurs lecteurs : poussés par la curiosité, les élèves se sont bousculés au CDI pour voir « le livre de la prof ». Et par conséquent, ils ont lu. Et ils ont lu en sachant que ce qu’ils lisaient étaient du matériau vivant, quelque chose de concret. Et ils ont lu avec la bénédiction de leurs parents, puisque c’est « le livre de la prof ». Inversement, enseigner nourrit mon travail d’autrice. D’abord, cela me donne une légitimité devant mes lecteurs, rassurés par ma formation littéraire. Mais aussi, cela me fait vivre mille vies. Il n’y a pas plus vivant qu’une salle de classe, c’est un microcosme bouillonnant. Les jeunes sont pleins de surprises, ils ont toujours des réactions inattendues, spontanées et authentiques, des histoires qui peuvent être parfois lourdes. C’est un métier humainement
très exigeant. Evidemment, tout cela m’interpelle, me questionne et m’aide à rendre mes personnages plus complexes et plus humains.

 

Quels sont les auteurs ou autrices qui t’ont le plus marquée dans les littératures de l’imaginaire ?
Ce serait injuste de ne pas citer R. L. Stine en premier, l’auteur de la série Chair de Poule. Il a fait naitre mon goût pour les histoires mystérieuses, à l’âge d’une dizaine d’année. Je pense d’ailleurs que ce monsieur fait encore beaucoup pour la lecture des enfants. Dans la
suite logique, j’ai aussi été très marquée par les romans fantastiques de Stephen King. Carrie reste aujourd’hui une référence pour moi.
Par la suite, j’ai voué une très grande admiration à Anne Rice, et sa série Chroniques des Vampires. Je dois aussi citer Villiers de l’Isle-Adam, puisque c’était lui le sujet de mon mémoire de maitrise universitaire sur le thème du fantôme. Il m’a beaucoup apporté, surtout dans la conviction que les littératures de l’imaginaire étaient légitimes dans un travail universitaire.

 

Quelle place accordes-tu à la voix intérieure des personnages dans ton style narratif ?
Je dirais que cela dépend du personnage et du thème abordé. Plus que la voix intérieure, j’aime beaucoup confronter la manière dont elle s’oppose avec la voix parlée. Dans Variants 9, Max, le héros, est un personnage qui déteste parler aux gens. C’est un jeune homme taciturne, renfermé, mais aussi prompt à juger les autres et à les mépriser. Je donne donc au lecteur l’accès brut à ses pensées, pas toujours très belles d’ailleurs, ce qui permet de mesurer l’écart entre ce que le personnage pense et ce qu’il dit ou fait, et d’apprécier toutes les phrases non prononcées. Cela forge un personnage silencieusement virulent. Et j’aime aussi exposer cet espace d’impunité : si le lecteur y a accès, c’est qu’il n’est pas si protégé que ça et que la voix intérieure est peut-être vouée à sortir, volontairement ou non. Dans Les Clairvoyantes, c’est tout l’inverse. Le roman tourne autour de prophétesses. Il faut prendre le mot dans les deux sens : ce sont des voyantes, mais ce sont aussi celles qui portent la parole. Or, elles ont plutôt tendance à la retenir. Elles brillent souvent par leur silence, par la manière dont elles retiennent l’information dont pourtant elles disposent. Dans ce roman, la parole donne le pouvoir. J’ai donc travaillé l’absence de voix. Pour le lecteur, les Clairvoyantes sont de grandes muettes. En fait de voix intérieures, nous n’aurons accès qu’à ceux qui s’opposent à elles. Car dès que leur influence prend le dessus sur un personnage, sa voix intérieure se ferme au lecteur.

 

Quelles voix féminines t’ont marquée dans ton parcours de lectrice ou d’écrivaine ?
Je dois d’abord citer ma professeure de Français, au lycée, Sophie Ricou. C’est elle qui m’a encouragée à participer à un concours de nouvelle en 2001, auquel j’ai répondu par une histoire de fantôme. Elle m’a aussi accompagnée à la remise des prix après que j’ai gagné
ce concours de nouvelles. Sans elle, je n’aurai peut-être pas su que ce que j’écrivais avait de la valeur. De manière générale, je suis souvent marquée par les plumes féminines qui arrivent à se faire une place sur un créneau que l’on voudrait réservé aux hommes : George Sand, Robin Hobb ou Fred Vargas m’inspirent beaucoup. A ce titre, je dois aussi rendre hommage à Valérie Simon, une autrice lyonnaise de fantasy qui est la première à m’avoir convaincue que ce genre pouvait aussi se conjuguer au féminin. Enfin, je citerai Elodie Aknine Amice. Autrice elle-même, elle m’a embarquée dans la création d’un collectif d’auteurs. Aujourd’hui, c’est une formidable aventure artistique et humaine et elle a fait énormément pour ma confiance en moi en tant qu’autrice.

Tu as fait le choix de t’autopublier. Qu’est-ce qui t’a motivée à emprunter cette voie plutôt que celle de l’édition traditionnelle ? Les délais ! La vie est courte ! Plus sérieusement, chacune de mes parutions est le résultat d’une aventure et d’un concours de circonstances. J’ai sorti le premier volume de Variants 9 pour pouvoir participer à un salon du livre qui se montait dans un petit village près de chez moi et qui avait besoin d’auteurs. En édition traditionnelle, une réponse peut prendre six mois. Je n’avais même pas six semaines. Et je voulais en être. La trilogie complète a suivi le même chemin, par commodité. Quand j’ai écrit La Sirène de l’Ile d’Or, même chose. Je ne voulais pas imposer à ma co-autrice, ma fille de huit ans, une interminable attente qui se solderait peut-être par un refus. J’ai voulu la protéger de cela. Quant aux Clairvoyantes, j’avais pour projet de tenter l’édition traditionnelle. Et puis un ami m’a lancé un défi : placer dans le roman un personnage au nom de la marque de sa brasserie, Bob. Je me suis prise au jeu : j’ai placé la brasserie elle-même dans le roman. A partir de là, il devenait difficile d’envisager que ce roman puisse ne jamais sortir si aucun éditeur n’en voulait. Et puis, j’ai rencontré mon illustratrice. Cette fois, impossible d’envisager qu’elle puisse être écartée du projet si un éditeur décidait de publier mon roman. L’autoédition me garantissait à la fois ma liberté et la maitrise des délais.

 

Peux-tu nous partager une phrase, une citation ou un enseignement qui t’inspire ?
Ma devise c’est « Je n’y suis pour rien si vous êtes vieux et triste », mais je la trouve un peu agressive, il faudra que je la retravaille. Elle me vient à l’esprit à chaque fois que quelqu’un me juge pour être trop dans mon monde, trop enthousiaste, trop théâtrale, trop colorée, trop déguisée, trop dansante… Ce qui arrive encore fréquemment, et bien sûr, toujours de la part des adultes, jamais des élèves. Comme le dit si bien Antoine de Saint Exupéry, « les grandes personnes ne comprennent jamais rien toutes seules et c’est fatigant, pour les enfants, de toujours et toujours leur donner des explications ». Je citerai deux auteurs issus de ma formation classique, qui me parlent beaucoup. D’abord André Breton, qui disait « L’imaginaire, c’est ce qui tend à devenir réel ».
Cela explique que j’y passe beaucoup plus de temps que dans la réalité, j’ai juste pris un peu d’avance. Je trouve qu’elle s’accord très bien avec celle de Guillaume Apollinaire : « Il est grand temps de rallumer les étoiles ».

Hélène Drummond

Hélène Drummond est née en Belgique en 1980. Médecin, mélomane, avide lectrice et auteure passionnée, elle a commencé sa carrière médicale en oto-rhino-laryngologie dans un hôpital universitaire belge, avant de s'orienter vers la recherche clinique, en se promettant d'un jour écrire un livre. Après s'être envolée pour New York avec son mari et ses enfants, elle a travaillé comme directrice médicale en immuno-oncologie au siège mondial d'un géant de l'industrie pharmaceutique. En 2020, elle a écrit son premier roman. Aujourd'hui, elle est l'auteure de quatre livres publiés aux éditions d'Avallon: Plus jamais seule pour Thanksgiving, Mensonges innocents, La sagesse du papillon, Rouge Pivoine. Toujours installée à New York, elle partage son temps entre sa famille, ses divers engagements médicaux et l'écriture. Membre du board d'une organisation à but non lucratif œuvrant pour les droits reproductifs des femmes, elle est également consultante médicale pour une startup de télémédecine spécialisée en santé de la femme et anime des ateliers d'écriture.

 

De médecin à romancière, quel a été le moment charnière ou l'élan intérieur qui t'a poussé à l'écriture? 

Depuis toujours, j'ai un côté littéraire et un côté scientifique qui cohabitent en moi. J'ai toujours adoré lire, et l'envie d'écrire un livre a été présente très tôt, même si j'ai d'abord poursuivi une carrière exclusivement médicale. J'ai d'abord travaillé en hôpital, en otorhinolaryngologie, puis je me suis orientée vers la recherche clinique. J'ai travaillé dans l'industrie pharmaceutique, en Europe puis aux USA, dans le domaine du cancer du sein, puis de l'hématologie, puis au siège mondial d'une énorme firme pharmaceutique ici à New York, où je gérais de grandes études cliniques de phase III en immuno-oncologie. C'était un poste de Medical Director, très prestigieux, très exigeant mais très stimulant intellectuellement, qui remplissait une mission essentielle vu que nous travaillions directement à améliorer le traitement de certains types de cancers. Cependant, l'environnement de travail n'était pas optimal et la pression énorme; on me donnait de plus en plus de responsabilités, ce qui est fort gratifiant, mais j'étais de plus en plus épuisée et de moins en moins épanouie. J'étais entrée en quasi burn out quand il y a eu un élément déclencheur qui m'a poussée à tout quitter: l'un de mes enfants a eu un souci de santé qui a nécessité que je sois beaucoup plus présente à la maison. J'ai quitté mon job, je me suis occupée de mon fils, je me suis recentrée sur ma famille et sur moi. Une fois que les choses ont été mises en place pour mon fils et que j'ai récupéré de mon épuisement généralisé, c'est à ce moment-là que je me suis mise à écrire sérieusement. Je dis sérieusement parce qu'avant cela, j'avais déjà gribouillé quelques textes mais rien qui avait abouti à un manuscrit. J'ai eu une impulsion, une envie, de reprendre ce que j'avais commencé et de m'y consacrer pour de bon, avec discipline et rigueur. J'ai suivi des cours d'écriture et j'ai mis en place une routine de travail, ce qui n'était pas facile au début, car je passais d'un travail très structuré, très encadré, en équipe, à un travail totalement solitaire et sans aucune structure. Mais petit à petit, j'ai trouvé mon rythme. Je suis entrée à ce moment-là dans une phase de plusieurs années où l'écriture constituait toute mon activité; j'ai publié 4 livres, puis j'ai commencé à donner des cours d'écriture. Puis, suite à une opportunité qui s'est présentée il y a plusieurs mois, j'ai à présent renoué avec mon côté médical, mais tout en conservant de l'espace et du temps pour mes activités littéraires. Je travaille comme consultante médicale indépendante pour une startup de télémédecine spécialisée en santé de la femme, et je suis aussi membre du board d'une association qui lutte pour le respect des droits reproductifs des femmes aux USA... tout en continuant à écrire et à donner des ateliers d'écriture. Je suis très heureuse de pouvoir laisser s'exprimer à la fois mon côté créatif et littéraire ainsi que mon côté médical. Les deux font partie intégrante de qui je suis. 

 

Tes personnages féminins sont souvent en quête de vérité, de sens ou de réparation. Est-ce une résonance avec ton propre cheminement personnel? 

C'est une question que l'on me pose souvent, dans quelle mesure mes histoires font-elles écho à mon propre vécu. Je réponds toujours qu'aucun de mes livres n'est autobiographique, que c'est de la pure fiction, c'est tout à fait clair, mais quand on écrit, on puise inévitablement en soi, dans son expérience de vie pour développer ses histoires. Donc oui, je puise dans ma vie mais de manière totalement inconsciente. Ce n'est qu'une fois les histoires couchées sur papier que les évidences me sautent parfois aux yeux. Le parallèle apparaît, même si c'est toujours énormément modifié, distordu, extrapolé ou remodelé par rapport aux expériences vécues. Mais il est évident qu'un roman que l'on écrit prend ses racines en nous, et traite de sujets qui nous tiennent à cœur, qui nous ressemblent. Ceci dit, ce que je préfère quand j'écris, c'est développer la psychologie de mes personnages, étudier leur évolution, leur ressenti, explorer les méandres de leur âme. Je trouve le cœur humain absolument fascinant. Mes protagonistes sont des anti-héroïnes, des femmes ordinaires, qui essaient d'attraper un peu plus de sens et de bonheur où elles peuvent, comme nous tous. Elles sont remarquablement fortes et vulnérables à la fois. J'aime donner une voix aux femmes, et aux anti-héros de tous les jours.  

 

Ton expérience en médecine, notamment en immuno-oncologie, influence-t-elle ta manière de raconter les émotions, les corps, les silences? 

Je ne pense pas, non. Il est possible qu'il y ait une influence qui opère de manière subconsciente, puisqu'avec le processus créatif, tout se passe indépendamment de la volonté. On dit parfois que ce sont les sujets qui nous choisissent et pas l'inverse, que ce sont nos personnages qui nous emmènent et pas l'inverse... et que s'ils nous emmènent là où l'on n'avait jamais imaginé aller, il faut les suivre, je suis totalement d'accord. C'est exactement de cette manière que les choses se passent pour moi quand j'écris. Ce sont en général mes personnages qui m'emmènent là où ils veulent. Le lâcher prise est un exercice qui n'est pas facile au début, nous sommes conditionnés à toujours tout contrôler, mais quand on parle d'écriture et de créativité, c'est essentiel.  

 

Tu as vécu en Belgique, à Singapour, à New York. Comment ces lieux ont-ils nourri ton regard sur le monde et ta voix d'autrice? 

Quand on parle de décor, les choses sont différentes. Dans ce cas-ci, c'est tout à fait consciemment que j'ai localisé mes histoires dans des lieux que j'aime et que je connais bien. New York m'a énormément inspirée pour mes romans Plus jamais seule pour Thanksgiving et Rouge Pivoine. Mais Singapour est aussi présent dans mes histoires, la Belgique et la France aussi. Mes différentes expatriations m'ont amenée à découvrir d'autres cultures, d'autres modes de vie, d'autres horizons; j'ai eu la chance de rencontrer des personnes extraordinaires un peu partout dans le monde. Les voyages donnent une réelle ouverture d'esprit et, oui, ce foisonnement a sans aucun doute nourri mon regard sur le monde, sur la vie, et influencé ma voix d'autrice.

 

Parmi tes romans, lequel t'a le plus révélée ou transformée en tant qu'écrivaine? Pourquoi? 

Je dirais que c'est mon roman La sagesse du papillon. J'y raconte une histoire à travers le regard d'une enfant. L'intensité, la charge émotionnelle du récit est décuplée par le fait que l'on progresse dans le récit avec les yeux d'une petite fille. Mais ce qui fait la particularité de ce livre, c'est que trois personnages principaux racontent cette histoire. Autour d'une même réalité, trois regards totalement différents. C'était une première pour moi. J'ai commencé ce roman en pensant que la petite fille serait mon héroïne unique, mais assez vite, deux autres personnages se sont imposées d'elles-mêmes. Et j'ai voulu leur donner à toutes les trois une voix à part entière. Au fil des pages, leurs trois regards très contrastés s'affrontent; chacune nous éclaire un peu plus sur la psychologie de l'autre. Elles sont complémentaires et elles nous forcent à nous mettre à leur place, à voir les choses chacune à travers sa propre paire de lunettes, donc à exercer notre capacité d'empathie. C'est un livre qui m'a révélé à quel point une même réalité prend des couleurs différentes en fonction de la personne qui la vit. Outre la technique d'écriture plus maîtrisée par rapport à mes romans précédents, c'est aussi la première fois que j'ai introduit un élément de suspense dans un récit. Dans La sagesse du papillon, je me concentre comme toujours sur la psychologie de mes personnages, mais il y a un élément de suspense très présent. Le suspense aide à garder les lecteurs en haleine, à les surprendre, à leur transmettre d'autres émotions. J'ai donc beaucoup évolué, beaucoup grandi lors de l'écriture de La sagesse du papillon. 

C'est également le premier de mes livres à être traduit en anglais. La publication aux USA est prévue pour cet hiver. 

 

Y a-t-il une phrase, une citation ou un enseignement qui t'accompagne dans ton écriture ou dans ta vie? Peux-tu nous la partager? 

Depuis mon plus jeune âge, je suis convaincue que travailler dur, avec discipline, rigueur, passion et détermination à toute épreuve est la clé du succès. Tout donner, se surpasser, dans tout ce que l'on entreprend. 

Par ailleurs, pour contrebalancer les choses, je dirais que, surtout pour nous les femmes, il y quelque chose que nous devons nous répéter régulièrement, car nous avons toutes tellement tendance à être nos pires ennemies, à nous sous-estimer, à nous concentrer sur ce que nous n'avons pas encore fait plutôt que sur tout ce que nous avons déjà accompli, à ne pas assez célébrer nos accomplissements: soyons plus indulgentes avec nous-mêmes. Exerçons notre empathie sur nous aussi. Autant que sur les autres. Ce n'est pas évident et c'est quelque chose que je dois encore travailler au quotidien, mais c'est essentiel. 

Il y a ces deux phrases, l'une de Colette, l'autre de Virginia Woolf, qui m'accompagnent et que j'essaie de garder à l'esprit le plus possible. Elles insistent sur l'importance de mener une vie qui nous ressemble, de partir à la découverte de qui l'on est et d'y rester fidèle... j'adore ces citations, parce qu'elles sont de merveilleuses piqûres de rappel: 

"Dans le temps de ma grande jeunesse, il m'est arrivé d'espérer que je deviendrais quelqu'un. Si j'avais eu le courage de formuler mon espoir tout entier, j'aurais dit quelqu'un d'autre. Mais j'y ai vite renoncé. Je n'ai jamais pu devenir quelqu'un d'autre." Colette, Mes Apprentissages.  

"Il est beaucoup plus important d'être soi-même que quoi que ce soit d'autre." Virginia Woolf, Une chambre à soi;

Latifa Chay

Latifa Chay est une femme engagée, consultante en stratégie et développement, autrice et militante politique. À seulement 23 ans, elle devient la plus jeune maire-adjointe de sa ville, chargée de la Culture, de la Jeunesse et des Relations internationales. Elle poursuit son engagement local en tant que vice-présidente de l’agglomération, avant de s’impliquer à l’échelle nationale. Déçue par le Parti Socialiste puis par La République en Marche, elle cofonde le mouvement Les Nouveaux Démocrates.

Latifa Chay est aussi l’autrice du livre autobiographique Sois une femme ma fille, d’une tour HLM au deuxième tour d’une élection nationale, un récit puissant qui retrace son parcours de fille d’immigrés marocains, de militante, de femme politique et d’aidante familiale. Ce livre, est un appel à l’émancipation, à la justice sociale et à la fidélité à soi-même. Elle vient de publier un roman, C’est pour demain.

 

Peux-tu raconter en quelques mots ton dernier roman et le choix de son titre ?

C’est pour demain est à la fois une promesse et une prise de position, incarnées par le personnage de Zahra Laayoune. À travers elle, j’ai voulu explorer la manière dont l’intime se mêle au collectif, comment les rêves individuels peuvent devenir des forces de changement. Ce roman est né du désir de montrer que l’histoire personnelle, lorsqu’elle s’assume pleinement, peut éclairer une destinée commune, à une époque traversée par de multiples crises. Le titre - réplique empruntée à une réplique d’un autre personnage - porte cette conviction : demain n’est pas un mirage lointain, mais une construction patiente qui s’ébauche dans nos choix, nos luttes et nos fidélités. C’est pour demain est un appel à croire en la possibilité d’un autre avenir, malgré les désillusions, et un rappel à ne jamais renoncer à l’espérance.

Ton roman mêle parcours personnel et enjeux politiques. Comment as-tu trouvé l’équilibre entre fiction et engagement ?

Dans mon premier livre, Sois une femme ma fille, j’écrivais que l’écriture, c’est parler sans être interrompue. Cette idée m’accompagne encore. La fiction me donne une liberté que le langage politique n’offre pas toujours : celle de dire des vérités autrement, de mêler l’intime et l’engagement sans être enfermée dans le format d’un discours ou d’un programme. Dans C’est pour demain, j’ai puisé dans des fragments de mon parcours et dans ceux de milliers d’autres, que j’ai transformés pour leur donner une portée plus vaste, plus universelle. L’équilibre vient de là : confier à Zahra Laayoune la force de porter des convictions, mais aussi ses contradictions, ses doutes, ses héritages familiaux et ses élans, en permettant aux lectrices et aux lecteurs de les vivre de l’intérieur. L’engagement est bien présent, mais il ne s’impose pas comme un manifeste figé : il devient une matière vivante qui traverse les personnages et, je l’espère, résonne durablement en chacun.

 

3/Quels sont les combats politiques ou sociaux qui te tiennent le plus à cœur aujourd’hui ?

Aujourd’hui comme hier, mes combats restent profondément liés à la justice sociale, à l’égalité femmes-hommes et à la reconnaissance des parcours issus de l’immigration. Je crois aussi à l’importance de réinventer la manière de faire de la politique : qu’elle soit plus proche des gens, transparente et fidèle à nos convictions. Enfin, je m’engage pour que chacun ait la possibilité de se réaliser pleinement, sans être limité par ses origines, son genre ou sa condition sociale. Pour moi, l’émancipation individuelle et la transformation collective sont indissociables : il n’y a pas de véritables progrès si certains parmi nous restent en marge ou sont mis au ban de la société. Cette conviction, qui guide toutes mes actions, trouve un écho particulier dans ce que j’ai vu lors de mes voyages en Palestine : la lutte pour les droits humains est universelle et nous concerne tous, toujours et partout où la dignité est menacée.

4/Tu as une expérience à la fois locale et nationale. Qu’est-ce que tu retiens de ces deux échelles d’engagement ?

Mon engagement local m’a appris que la politique prend tout son sens dans le concret : écouter les habitants, comprendre leurs besoins, agir sur ce qui transforme vraiment leur quotidien. En tant que plus jeune maire-adjointe de ma ville, j’ai vécu ces responsabilités de près et j’ai vu comment chaque décision pouvait changer des vies. L’expérience nationale m’a offert une perspective plus large : tenter d’agir sur des règles qui touchent des millions de personnes. Mais cette immersion m’a aussi confrontée aux limites et aux dérives de la politique partisane, et j’en suis sortie avec un sentiment légitime de désenchantement. C’est pourquoi aujourd’hui, je me consacre à l’engagement citoyen, à la formation et à l’accompagnement, en mettant en pratique les outils que j’ai partagés dans Sois une femme ma fille, que certains qualifient de « boîte à outils » pour la citoyenneté. Ce que je retiens, c’est que l’action politique, locale ou nationale, n’a de sens que si elle reste connectée aux personnes, à leurs vies et à leur capacité d’agir. Mon parcours m’a appris que l’engagement véritable se vit autant sur le terrain que dans la transmission et l’accompagnement des citoyens.

 

5/ Quel message aimerais-tu transmettre aux jeunes femmes qui hésitent à s’engager en politique ou dans la vie publique ?

Je leur dirais avant tout de ne pas attendre que tout soit parfait pour se lancer. On nous fait souvent croire qu’il faut être plus expérimentées, plus préparées, plus solides que les autres pour être entendues, mais c’est une illusion : votre voix a de la valeur dès aujourd’hui. S’engager, ce n’est pas se conformer à des modèles, c’est trouver sa propre manière de participer, à sa mesure, avec ses forces et ses fragilités. La politique et la vie publique ont besoin de femmes qui osent, qui prennent la parole, qui provoquent parfois le débat, mais qui restent fidèles à elles-mêmes. Je leur dirais : soyez une Zahra Laayoune ! L’engagement peut prendre de multiples formes : il n’est pas seulement partisan ou institutionnel, il peut être citoyen, culturel, éducatif, littéraire… et c’est souvent de là que naît le changement le plus durable.

 

6/ Peux-tu partager une phrase, une citation ou un enseignement qui t’inspire profondément ?

Deux phrases m’accompagnent depuis longtemps et résonnent profondément avec mon parcours. La première, du Prophète Muhammad : « Le meilleur d’entre vous est celui qui est le plus utile aux autres », rappelle que l’engagement et la réussite ne se mesurent pas par le pouvoir ou la visibilité, mais par l’impact que l’on a sur la vie des autres. La seconde, d’Oscar Wilde : « Soyez vous-même, les autres sont déjà pris », m’invite à rester fidèle à moi-même dans tout ce que j’entreprends. Je me suis engagée en étant pleinement moi : femme, musulmane, fille d’immigrés, citoyenne… et c’est cette combinaison d’authenticité et de service qui a guidé mon parcours, que ce soit en politique, dans mes engagements citoyens ou à travers l’écriture, me permettant de persévérer, de créer du lien et d’agir avec sens.

 

Amira Benbetka

Amira Benbetka est une jeune femme de lettres dont la plume, s’impose avec finesse dans le paysage littéraire contemporain. Traductrice et autrice prolifique, elle explore des genres variés, du conte au roman historique, en passant par le fantastique et la romance, avec une sensibilité marquée par les enjeux sociaux, la mémoire collective et les voix invisibilisées.

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Ilham Moustachir

Femme politique française engagée dans la vie locale et territoriale, Ilham Moustachir a été vice-présidente d’une communauté d’agglomération regroupant 42 communes. Pendant plus de douze ans, elle s’est investie dans les domaines de l’emploi, de l’insertion professionnelle, de la cohésion sociale et, surtout, du développement économique. Elle vient d’être nommée secrétaire générale de l’Observatoire de la diversité, une structure qui œuvre pour une meilleure représentation des parcours, des identités et des voix minorées dans les sphères publiques, culturelles et politiques. À travers ce rôle, elle poursuit son engagement en faveur d’une société plus inclusive et équitable.

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Nour Cadour

On peut être plusieurs désirs, plusieurs envies, Nour Cadour médecin nucléaire de profession, poétesse, romancière en est un exemple.  Elle conjugue science et sensibilité artistique avec une rare intensité. Son œuvre explore les silences, les exils, les voix oubliées, notamment celles des femmes à travers le monde. Elle est l’autrice du roman L’âme du luthier (Hello Éditions, 2022), finaliste du Prix Livre Europe-Méditerranée, et de plusieurs recueils de poésie primés, dont Larmes de lune et Le silence pour son. Nour Cadour est également très active dans la scène poétique contemporaine, organisant des lectures et des événements littéraires à Paris, Bruxelles et ailleurs.

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